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— La beauté de cette femme, reprit Théobald, est une leçon, une moralité, un poème ! J’y trouve un sujet d’étude inépuisable ! Avant de le quitter, j’eus soin de lui rappeler son offre et d’exiger de lui une promesse formelle qu’il hésita un peu à me donner.

— Il me semble presque commettre une profanation, dit-il, car jusqu’à présent j’ai été seul à contempler celle dont je vous parle. Je vous accorde une grande preuve d’amitié. Vous êtes le premier à qui j’aie confié mon secret ; mais une trop longue familiarité nous fait parfois perdre de vue la valeur réelle des choses et peut-être agrandirez-vous mon horizon en me suggérant quelque interprétation nouvelle.

Il me donna rendez-vous pour le lendemain soir. L’heure venue, nous nous dirigeâmes vers une vieille maison située au centre de Florence, non loin du Mercato-Vecchio. Il nous fallut gravir jusqu’au dernier étage un escalier raide et mal éclairé. La beauté de Théobald semblait se cacher avec autant de soin que la belle aux cheveux d’or qui, on le sait, était reléguée au sommet d’une tour. Mon guide entra sans frapper dans l’antichambre de ce logis peu luxueux, et, poussant une seconde porte, m’introduisit dans un petit salon pauvrement meublé et d’un aspect assez sombre, en dépit des rideaux blancs qui s’agitaient devant une fenêtre ouverte. Assise près d’une table sur laquelle brûlait une lampe, je vis une femme vêtue de noir qui travaillait à un ouvrage de broderie. Lorsque Théobald se montra, elle redressa la tête pour lui sourire ; mais, en m’apercevant, elle eut un mouvement de surprise et se leva avec une sorte de dignité majestueuse. Théobald s’avança et lui prit la main qu’il baisa avec un respect qui annonçait pourtant un long usage de ce genre de salutation. Tandis qu’il s’inclinait, elle me regarda d’un air mécontent, et il me sembla qu’elle rougissait.

— Contemplez la Sérafina ! me dit Théobald avec un geste théâtral. Monsieur est un ami et un appréciateur des beaux-arts, ajoutat-il en s’adressant à mon hôtesse.

Cette présentation me valut un sourire, une révérence, et l’on m’invita à prendre un siège.

La plus belle femme de l’Italie était une personne d’un beau type italien, très simple d’allure. Lorsqu’elle se fut rassise devant sa lampe et eut repris sa broderie, elle ne trouva que fort peu de chose à dire. Théobald, penché vers elle dans une sorte d’extase platonique, lui adressa une douzaine de questions tendrement paternelles sur sa santé, sur ses occupations, sur les progrès de sa broderie, qu’il examina et me fit admirer. Ce travail ornait quelque partie d’un vêtement ecclésiastique. Les broderies, tracées en fil d’or et d’argent sur un fond de satin jaune, annonçaient une ouvrière très habile. Sérafma répondait d’une voix à la fois douce et