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voulue par la convention en 1793 entre les assignats et les pièces d’or ou d’argent. Il y eut des peines sévères contre ceux qui contreviendraient à la loi. Et la majorité de la chambre des communes, comme si elle eût tenu à honneur de manifester avec éclat le désordre de ses idées en cette affaire, vota le 11 mai 1811 qu’en fait le papier-monnaie était au pair avec l’or, tandis qu’il n’était personne à Londres qui ne sût que c’était faux, et que le gouvernement lui-même achetait chez les changeurs des pièces d’or qu’il payait, avec une forte prime, en billets de banque. La majorité fut de 151 contre 75.

La campagne actuelle en faveur du double étalon peut être considérée comme une réminiscence affaiblie de l’erreur née dans le moyen âge et adoptée ensuite universellement dans les différens états de l’Europe, d’après laquelle l’autorité publique aurait parmi ses justes prérogatives l’omnipotence sur les monnaies. Dans cet ordre d’idées, un prince ou un parlement pouvait méconnaître à l’égard des monnaies le rapport naturel des choses, traiter les pièces de monnaie comme si c’étaient des signes variables de valeur à sa volonté, au lieu d’être des marchandises passant dans les transactions pour leur valeur spontanément et librement établie par le commerce. Selon cette doctrine, il leur eût été loisible de décréter que l’or vaut 15 fois 1/2 l’argent, alors que les faits les plus authentiques constateraient qu’il le vaut plus de 17 fois.

Dieu me garde de songer à comparer aux rois faux-monnayeurs, princes sans scrupule et sans vergogne, tels que Philippe le Bel, Philippe de Valois et Jean, ou que le roi d’Angleterre Henri VIII, les écrivains honorables qui de nos jours préconisent le double étalon d’or et les administrateurs qui font cause commune avec eux. Les rois faux-monnayeurs volaient sciemment leurs sujets ; les défenseurs actuels du double étalon sont les plus honnêtes gens du monde, non-seulement désintéressés dans l’affaire, mais croyant rendre un service à la société. Toutefois les conseils qu’on donne aujourd’hui aux gouvernemens, en vertu de la doctrine du double étalon, ont le tort de les pousser à des actes qui seraient, tout aussi bien que ceux des rois faux-monnayeurs, le renversement arbitraire du rapport qui existe entre les métaux servant à faire de la monnaie et les autres marchandises. Aujourd’hui qu’on est plus éclairé, il convient de secouer définitivement ces traditions funestes et par conséquent de repousser le système du double étalon, qui en est le dernier écho. L’autorité, chez nous, est enfin rentrée dans la bonne voie que ses prédécesseurs avaient délaissée. Il faut l’exhorter à y rester et à la suivre avec cette alliance de la fermeté et de la circonspection qui est l’essence des bons gouvernemens.


MICHEL CHEVALIER.