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mieux bâties et mieux disposées pour se loger, plus de mobilier, plus d’ustensiles de ménage, plus d’objets de luxe et de confort ; plus de champs bien cultivés, plus d’ateliers bien pourvus de matériel, plus de ce grand outillage qui se compose de routes, de canaux, de chemins de fer, de ports en bon état, plus de navires, plus d’établissemens d’instruction perfectionnés, plus de bibliothèques et de musées particuliers ou publics, plus de monumens consacrés au culte ou à d’autres usages.

Le progrès de la richesse s’étend de nos jours à toutes les classes de la société et spécialement aux classes ouvrières, sous l’influence d’une double cause : d’un côté le prix de l’immense majorité des objets diminue, grâce au progrès des arts, qui augmente indéfiniment la puissance productive de l’homme, et d’un autre côté la rémunération des populations peu aisées de l’Europe va en croissant, de sorte que sous cette action combinée il est possible, même aux classes les moins riches d’acquérir, en échange de leur salaire, une quantité de plus en plus grande des objets répondant à leurs besoins. Dans ces circonstances, le bon marché des divers produits, ou leur abaissement de valeur en comparaison du prix de la journée, est la preuve d’une civilisation qui grandit, tout comme leur enchérissement serait la preuve d’une décadence.

Le bon marché et la cherté ayant ces caractères, il faut se féliciter de l’un et déplorer l’autre. Ceci s’applique aux métaux comme aux tissus et aux denrées alimentaires, au métal argent aussi bien qu’au fer et au plomb. Ce n’est pas à dire qu’il ne fût avantageux à un individu que la chose qu’il produit ou qu’il détient fût chère pendant que les autres baissent : il en serait plus riche ; mais les autres en seraient plus pauvres. En 1817, on a vu l’hectolitre de froment monter à 1 francs, à 50 et même, dans un département, à 73. Ceux des cultivateurs qui, par exception, avaient fait de bonnes récoltes, gagnèrent gros ; mais au contraire la richesse du reste de la société fut ébréchée par la nécessité de se nourrir. Pour les classes les moins aisées, ce fut un désastre.

Si l’argent baisse de valeur, si, toutes choses égales d’ailleurs, il faut 5 grammes de plus pour payer une journée d’ouvrier, 25 grammes de plus pour acquérir un hectolitre de blé, l’ouvrier, le producteur du blé, tout producteur en général se procurera plus aisément une quantité déterminée de ce métal. Les ustensiles en argent ou argentés seront à la portée d’un plus grand nombre. Cette baisse sera un bien pour la grande majorité de la société et pour les nouveaux arrivans dans ce monde. Il est vrai que ce sera une perte pour ceux qui posséderont une grande quantité d’argent, surtout à l’état de monnaie, car pour ceux qui auraient de même beaucoup d’orfèvrerie faite de ce métal, la perte sera peu sensible : ils s’étaient procuré