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le mieux à l’heure actuelle n’est pas de se livrer à des spéculations scientifiques sur ce qui arriverait si l’or éprouvait une forte baisse dans salvateur. Nous sommes en présence d’une forte dépréciation de l’argent, dont depuis longtemps on n’avait vu la pareille ni pour ce métal ni pour l’autre, et qui paraît devoir se prononcer davantage par la double raison que les nouvelles mines d’argent semblent n’être qu’à leur début, et que plusieurs pays, qui avaient une forte proportion de monnaie d’argent, ayant démonétisé ce métal, en versent et vont encore en verser sur le marché de fortes quantités qui nécessairement l’aviliront, tout comme si c’était l’extraction d’une mine de plus. La question est de savoir si nous ferons les frais de cette décadence de l’argent, qui déjà est profonde.

Abordons maintenant les argumens et propositions de M. Cernuschi. En pareille matière, il n’est pas possible à un grand état, faisant un commerce extérieur de plusieurs milliards, d’agir seul, indépendamment de ses voisins. Les relations commerciales qui se multiplient et s’accélèrent entre les nations civilisées interdisent à toute nation industrieuse de s’isoler absolument des autres par sa monnaie. Nos rapports commerciaux avec nos voisins seraient faussés, si nous nous obstinions à maintenir chez nous, en dépit des prix courans des lingots, la règle arbitraire que 1 kilogramme d’or est l’équivalent de 15 1/2 d’argent. D’un autre côté, on ne peut se dissimuler que la tendance générale aujourd’hui est de démonétiser l’argent et d’adopter l’unique étalon d’or, et cette tendance est très forte chez les peuples les plus civilisés de l’Occident, je veux dire de l’Europe et de l’Amérique. On a vu plus haut que c’est un fait déjà réglé par la loi dans la plupart des plus puissans états.

Trop bon observateur pour ne pas se rendre compte de l’impossibilité où est la France de s’isoler, M. Cernuschi fait la tentative de convertir les autres gouvernemens en général. Il entreprend particulièrement d’amadouer les Anglais, qui ont une sorte de culte pour leur système monétaire fondé sur l’étalon unique en or. Il y perdra son temps, malgré le soin qu’il a pris de faire traduire en anglais ses écrits récens. Les Anglais, qui sont d’habiles commerçans, ne consentiront jamais à introduire chez eux en masse la monnaie d’argent, alors que ce métal est en baisse : ce serait s’encombrer d’une marchandise dépréciée. Ce qui est peut-être plus téméraire encore, c’est l’essai de M. Cernuschi pour attendrir l’homme d’Europe sur lequel un effort de ce genre peut le moins réussir, le grand-chancelier de l’empire d’Allemagne, M. de Bismarck. Il lui remontre qu’il existe en Allemagne des centaines de millions de thalers en pièces d’argent, et que ce riche trésor va être déprécié, s’il persiste dans la démonétisation qu’il a fait prononcer contre l’argent. Si le