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importans échelonnés depuis 1789. Sous la constituante, Mirabeau avait publié un mémoire (12 décembre 1790) qui impressionna vivement l’assemblée ; il tendait à maintenir simultanément les deux métaux dans la circulation : depuis longtemps, c’était la tendance générale en Europe. Mais s’il devait y avoir deux monnaies légales, il ne devait y avoir qu’un seul étalon, il disait monnaie constitutionnelle : c’eût été l’argent. L’or aurait été monnayé, tant pour la satisfaction des besoins généraux, auxquels répondait déjà l’argent, que pour des besoins spéciaux, tels que celui de faire commodément et rapidement des paiemens considérables, et celui d’avoir dans les voyages et pour la monnaie de poche des pièces très portatives. Enfin on aurait fabriqué, pour la commodité des petites transactions journalières, des pièces de cuivre. L’or, comme le cuivre, eût été subordonné à l’argent. Les pièces d’or et celles de cuivre eussent été englobées, quoique pour des raisons différentes, sous la dénomination commune de signes additionnels. Les pièces d’or nommément auraient passé avec une valeur variable par rapport à l’argent. Les lignes suivantes de Mirabeau caractérisent bien le genre de subordination qui aurait affecté l’or : « les espèces d’or variant de prix en raison de l’abondance et de la rareté de l’or, elles seront plutôt une marchandise qu’une monnaie, et l’empreinte servira à rendre authentique la vérité du titre et du poids, et non à assurer la valeur fixe et invariable de l’espèce. » Le programme de Mirabeau était complet. Le grand tribun avait pris la peine de rédiger en détail un projet de loi pour la constitution monétaire, le mode de fabrication des monnaies et l’organisation de l’administration chargée de surveiller ce genre d’industrie, car le monnayage est, à la lettre et dans la force du mot, une opération industrielle. Les idées de Mirabeau étaient conformes du reste à celles du célèbre philosophe anglais Locke et d’un autre écrivain anglais, M. Harris, qui avait fait une étude particulière de la matière, et Mirabeau ne dissimulait pas l’emprunt qu’il faisait à ces deux esprits éminens. Locke avait montré, au XVIIe siècle, la vanité des efforts qui tendaient à avoir dans la monnaie les deux métaux précieux, si l’on entendait les lier l’un à l’autre par un rapport permanent. Il sentait que, le rapport entre l’or et l’argent se dérangeant sans cesse plus ou moins, comme au surplus celui de deux autres produits quelconques, la valeur des marchandises rapportée à la monnaie d’or ne pouvait être réellement la même, si on la rapportait à celle d’argent, qu’autant que la mobilité du rapport entre les deux monnaies serait érigée en principe. Voici les paroles de Locke :


« Deux métaux tels que l’or et l’argent, dit-il, ne peuvent servir au