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Occident elles se pressent les unes contre les autres comme les îles voisines d’un archipel : c’est à peu près la différence du Pacifique et de la mer Egée. Le contraste au point de vue de la population n’est guère moindre. En France, en Belgique, en Prusse, en Angleterre, les villes renferment le tiers, parfois même la moitié de la population totale. En Russie, les villes n’en contiennent guère plus du neuvième, peut-être même du dixième, et encore beaucoup des habitans qui leur sont ainsi attribués méritent-ils peu le nom de citadins. Malgré ses récens et constans accroissemens, la population urbaine de la Russie reste ainsi bien en deçà de la même population en Europe. Le peu d’importance, l’insignifiance des villes, dont les matériaux même semblaient lui manquer, est un des caractères historiques de l’ancienne Moscovie : toute proportion gardée, c’est encore aujourd’hui un des traits distinctifs de la Russie, de la Grande-Russie en particulier. Les deux principaux élémens de la population y sont dans un tout autre rapport que dans la plupart des pays de l’Europe ou de l’Amérique. Que de diversités dans les mœurs, dans les idées, dans les aspirations, que de diversités dans toute la civilisation, n’implique pas ce seul fait ! A la lueur de la statistique, le vaste empire du Nord, en dépit de ses rapides et incessans progrès, apparaît toujours comme un état rural, un empire de paysans. La Russie et les États-Unis d’Amérique qui, pour l’étendue du territoire et la répartition de la population, offrent tant de points de comparaison, sont à cet égard dans la plus complète opposition et figurent aux deux pôles contraires de la civilisation moderne[1].

Le même phénomène, la même disproportion entre les villes et les campagnes, se rencontrera des degrés divers, chez la plupart des peuples slavons, chez les Slaves de l’occident comme chez les Slaves de l’est et du sud. C’est, on peut le dire, un des principaux signes et en même temps une des principales causes de l’infériorité historique des nations slavonnes vis-à-vis des nations latines ou germaniques. Au premier abord, les Slaves de l’ouest, les Tchèques et les Polonais semblent à cet égard comme à bien d’autres se séparer de leurs frères slaves pour se rapprocher de l’Europe occidentale. Le royaume de Pologne en particulier s’éloigne singulièrement par ce côté de l’empire auquel il est attaché. La population urbaine et la population rurale y sont à peu près dans le même rapport que dans les plus riches contrées de l’Europe germano-latine. La proportion de l’une à l’autre est comme 1 à 3 : environ

  1. En Russie même cependant, il est à remarquer que parmi les régions qui possèdent relativement la plus grande population urbaine figurent l’Ukraine, la Nouvelle-Russie, la Tauride et la plupart des pays récemment colonisés ; ce qui fait penser que là comme ailleurs la colonisation moderne procède en grande partie par les villes.