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villes de Russie diffèrent des villes de l’Europe occidentale. Avec leurs maisons de bois basses et espacées, avec leurs rues d’une largeur démesurée qu’explique seule la crainte des incendies, leurs rues non pavées où, comme sur les routes de la campagne, règnent tour à tour et parfois côte à côte la neige, la boue et la poussière, la plupart de ces cités russes manquent, dans leur aspect comme dans leurs habitans, de ce qui pour nous constitue la ville et le caractère urbain. Au lieu de serrer leurs habitations les unes contre les autres comme nos anciennes villes de France, d’Italie ou d’Allemagne, au lieu d’entasser les étages vers le ciel, et de former un petit monde entièrement distinct des campagnes et uniquement rempli de l’homme et des œuvres de l’homme, les villes russes s’étalent et se répandent dans les champs jusqu’à se confondre avec eux, laissant entre les maisons et les édifices publics de vastes espaces que la population ne peut remplir ni animer et où l’homme semble à demi perdu. Aussi, pour les voyageurs arrivant de l’Europe, la plupart des villes moscovites ont-elles quelque chose de vide, de désert, d’incomplet ou d’inachevé ; elles font souvent l’effet de leurs propres faubourgs, et l’étranger en est sorti quand il se croit sur le point d’y entrer. Pour lui, le plus grand nombre de ces villes ne sont que de grands villages, et de fait entre ville et village, pour le mode de construction comme pour la manière de vivre des habitans, il y a moins de différence en ce pays que partout ailleurs. La Russie tout entière ne fut pendant des siècles qu’un village de plusieurs milliers de lieues carrées. Pendant une longue partie de son histoire, pendant la période moscovite, il n’y avait guère, à proprement parler, en Russie qu’une ville, la capitale, la résidence du souverain, et encore celle-ci n’était-elle qu’une vaste bourgade de bois dispersée autour d’une forteresse de pierre. Ce n’est que depuis l’incendie de 1812 et la reconstruction qui l’a suivi, depuis que la pierre ou mieux la brique ont relégué les édifices de bois dans les faubourgs et permis aux maisons de s’élever et de se rapprocher, que Moscou à réellement pris l’apparence d’une grande cité. Les chefs-lieux de gouvernement, peu à peu réédifiés sur le modèle de la vieille capitale rajeunie, sont d’ordinaire encore pour nous les seules villes dignes de ce nom.

En comparant les surfaces, on trouve que dans la Russie européenne, même quand on décore de ce titre une foule de bourgades aux trois quarts rurales, les villes sont dix, quinze, vingt fois plus espacées que dans l’Europe occidentale. Il y a là un contraste des plus frappans et qui n’est point sans influence sur toutes les relations de la vie. En Russie, les villes sont comme des îlots isolés et dispersés à de grandes distances sur un océan de campagnes, tandis qu’en