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A cet égard, l’extrême sud de la Russie ressemblait à certaines régions de l’extrême nord, où le servage et la noblesse n’ont pour ainsi dire point pénétré ; Comme les paysans d’Archangel ou de Viatka, les Cosaques semblent avoir longtemps conservé les formes d’une ancienne société russe, d’une société étrangère aux distinctions déclasses, ou bien au contraire on pourrait regarder ces libres colons de la steppe comme ayant laissé ou rejeté derrière eux dans la patrie qu’ils quittaient toute trace de hiérarchie sociale. Quoi qu’il en soit, les distinctions de classes sont peu à peu rentrées chez eux avec l’administration de la Russie moderne. La noblesse a été conférée à leurs officiers, et de l’ancienne égalité comme de l’ancienne liberté cosaque, il ne reste guère qu’un souvenir. Les Cosaques du Don, de l’Oural et de la Mer-Noire, les principaux héritiers de ce vieux nom national continuent à former des circonscriptions particulières jusqu’à ces derniers temps en possession d’une administration spéciale. Ils étaient exempts de certains impôts et avaient droit à un certain nombre de places dans l’administration du pays ; ils avaient un budget particulier et gardaient la possession gratuite des terres de la communauté. Tous ces privilèges sont naturellement entamés et peu à peu rétrécis par les progrès constans de la centralisation, aussi bien que par les progrès du commerce et des voies de communication. L’individualité des Cosaques en est diminuée en même temps que leur autonomie.

Parmi les classes accessoires placées en dehors et comme dans l’intervalle des classes normales, une seule mérite encore une mention pour la singularité de sa situation, c’est celle dont les membres portent le nom bizarre d’odnovortsy (mot à mot, unicour), c’est-à-dire hommes d’une seule cour ou d’une seule maison, possesseurs d’une seule terre. Ces odnovortsy sont des hommes libres, qui, à l’inverse du paysan russe ordinaire, possèdent la terre qu’ils cultivent en pleine propriété individuelle et héréditaire. A cet égard, ils se rapprochent des nobles, tandis que, par l’éducation et la situation de fortune, par la capitation et le recrutement, qui pesaient sur leur tête comme sur les dernières classes de la nation, ils méritent plutôt d’être comptés parmi les paysans. Cette classe, ainsi intermédiaire entre les deux grands ordres de l’état compte, croyons-nous, de 2 à 3 millions d’âmes des deux sexes ; parmi ses membres, plusieurs ont atteint une aisance rare chez le paysan russe. Les odnovortsy pourraient, de même que les Cosaques, être envisagés comme les représentans d’un autre âge de la société russe et d’anciennes forces sociales. Leur origine est assez obscure, et leurs rangs semblent s’être recrutés dans plusieurs classes différentes. Les odnovortsy se regardent eux-mêmes parfois, peut-être avec