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révolte, dut, sous le règne de Nicolas, faire abandonner cette tentative, dont il n’est resté que peu de traces. Le règne d’Alexandre II obéit à cet égard à des tendances tout opposées à celles qui prévalurent sous Alexandre Ier. Pour les lois récentes qui entrent aujourd’hui en application, ce ne sera point assez de cesser de faire de l’armée une classe à part dans la nation. Le service militaire, abrégé de durée et rendu obligatoire pour tous, portera un coup sensible à toutes les distinctions de castes. Au lieu d’être un corps isolé et un sujet de privilèges ou de servitudes, l’armée deviendra un instrument d’égalité, elle sera un des principaux moyens de fusion des classes et des rangs.

Il est dans l’armée, ou plutôt dans les forces militaires de la Russie, un groupe considérable qui continue à former une catégorie à part, et demeure à quelques égards une classe distincte, une caste guerrière ; ce sont les Cosaques. Là, sur les frontières méridionales de l’empire, sur le cours inférieur du Don, du Volga, de l’Oural, du Kouban, du Terek, se retrouvent encore des populations d’origines diverses, toutes vouées également à une organisation militaire. Les Cosaques n’ont que cette ressemblance avec les colonies de soldats cultivateurs d’Alexandre Ier. S’ils sont soumis à certaines conditions particulières pour le recrutement, ils ne vivent point d’ordinaire sous le joug de la discipline militaire, et, en échange de leurs charges spéciales, ils ont eu de tout temps des immunités auxquelles ils sont fort attachés ; aussi sont-ils regardés comme des populations privilégiées, bien que leurs prérogatives personnelles et corporatives aient été singulièrement réduites dans le cours des siècles. A l’étranger, le nom de Cosaque, lié à des souvenirs d’invasion, éveille l’idée de barbarie et de pillage ; en Russie, le même nom, lié aux souvenirs de la vie indépendante de la steppe, éveille l’idée de la liberté, de l’égalité. « Libre comme un Cosaque, » est pour le Russe une locution fortement expressive, car elle désigne l’homme qui n’a subi ni le joug étranger, ni la servitude de la glèbe. Chez les principaux groupes cosaques, chez ceux du Dnieper et ceux du Don, régnait jadis l’égalité, non moins que la liberté. Les uns et les autres, les premiers sous la suzeraineté de la Pologne, les seconds sous le sceptre moscovite, formaient une sorte de république démocratique. Ils élisaient eux-mêmes leurs chefs, leurs atamans et ne reconnaissaient entre eux pas plus de nobles que de serfs[1].

  1. Sur les anciens Cosaques de la Petite et de la Grande-Russie, le lecteur français peut consulter avec fruit les Cosaques, autrefois, de Mérimée, qui ne sont qu’une réduction des travaux d’un des plus éminens historiens actuels de la Russie, M. Kostomarof.