Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/524

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rares ! Mais en conduisant son armée d’Atalanta à Savannah, Sherman n’avait fait qu’un premier pas vers son but. « Sur la route de Richmond, dit-il, l’ennemi devait nous arrêter, nous combattre et nous vaincre, ou c’était nécessairement la fin de la guerre. » Aussi est-il prêt à porter le dernier coup quand il reçoit du président Lincoln une lettre ainsi conçue :


Washington, 26 décembre 1864.

«… Au moment où vous alliez quitter Atalanta pour l’Atlantique, j’étais sinon épouvanté, au moins fort inquiet ; mais, comprenant que vous étiez le meilleur juge et me rappelant le proverbe : qui ne risque rien n’a rien, je n’ai pas voulu intervenir. Maintenant que l’entreprise a réussi, l’honneur vous appartient tout entier, car je pense qu’aucun de nous n’a été plus loin qu’un simple acquiescement…

« Mais aujourd’hui que faire ? Je suppose que le mieux est de laisser au général Grant et à vous le soin d’en décider.

« Signé : A. LINCOLN. »


D’un autre côté, pendant qu’il entrait à Savannah, Grant lui écrivait : « Je voudrais savoir de vous ce qui doit et ce qui peut être fait. » On le voit, la renommée de Sherman est si grande, et le succès a donné tellement raison à son coup d’œil et à son jugement que, loin de lui donner des ordres, président et généralissime viennent bien plutôt lui en demander. En même temps, on apprenait que ses prévisions s’étaient également vérifiées dans l’ouest : Hood, furieux de se voir dédaigné, s’était jeté à Nashville sur les retranchemens du général Thomas, qui avaient été pour lui la gueule du lion. Sa petite armée avait éprouvé une défaite totale, et ce qui en restait cherchait à gagner la Virginie à travers les montagnes. C’était donc en Virginie que se concentraient tous les débris de l’insurrection. C’est vers elle que Sherman va marcher à la tête de son armée. « La question, écrit-il à Grant, est de savoir si Lee sortira de Richmond, vous évitera et viendra me combattre, dans lequel cas je compte que vous serez sur ses talons… Je suis certain que je puis détruire tout le système des chemins de fer des deux Carolines et être sur le Roanoke au premier printemps. Si vous vous croyez de force à battre Lee hors de ses retranchemens, je me sens également en état d’en avoir raison en rase campagne. »

Avant que Sherman ne parte pour aller jouer sa vie et celle de ses soldats dans la crise dernière d’où dépendent l’unité et la grandeur de son pays, il survient un incident qui lui cause une vive irritation. Le ministre de la guerre, un politician nommé Staunton, parait tout à coup à Savannah. Venait-il s’éclairer sur la situation