Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/517

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fédérale aux états du Nord, et qui, de Nashville à Atalanta, traverse 400 kilomètres de pays hostile. Jusqu’ici les interruptions causées par les maraudeurs ou les raids de cavalerie n’ont été que passagères parce que les trains, marchant quatre par quatre avec de fortes garnisons, ont été en état de se défendre contre.eux, et parce que, les ponts et tunnels étant protégés par de petites forteresses, les dégâts de la voie ont été vite réparés ; il n’en sera plus ainsi, si c’est tout un corps d’armée qui se donne la mission de maintenir hors de service cette artère indispensable à la vie des masses fédérales. Mobile, légère, disposant de toutes les ressources d’un pays dévoué où Sherman ne peut trouver d’espions, l’armée de Hood réussira sans doute à dérober sa marche, et à tomber inopinément sur certains points de cette longue ligne, où elle commettra d’irréparables destructions.

Pour que Sherman, qui connaît ce danger, ne l’oublie pas, M. Jefferson Davis, le chef du gouvernement confédéré, tout ému de la chute d’Atalanta, accourt de Richmond, et, avec le manque de tact et de discrétion dont les politicians font toujours preuve en affaires militaires, il annonce à ses soldats qu’ils vont être conduits sur les communications de l’ennemi, et promet à l’armée yankee, vaincue par la faim, une retraite aussi désastreuse que celle de Napoléon après Moscou ; mais Sherman ne lui donnera pas cette satisfaction. Dans son esprit, l’abandon d’Atalanta est déjà arrêté. Seulement, quand il l’abandonnera, ce ne sera pas pour reculer, pour perdre le succès qu’il vient d’acheter si chèrement ; ce sera pour frapper l’ennemi au cœur, en portant le ravage et la désorganisation au centre même de la rébellion.

Après les services que Sherman vient de rendre, les preuves qu’il vient de faire dans le commandement, nous sommes bien loin du fou de Louisville. Aussi, à la première nouvelle de son succès, M. Lincoln, Grant et le gouvernement lui écrivent-ils pour lui demander son avis sur la meilleure direction à donner aux opérations. Se renfermant dans la partie la plus immédiate de la question, Sherman donne son avis sans hésiter. Autant il a été partisan, au début de la guerre, quand l’insurrection était dans toute sa force, de n’agir qu’en grandes masses, autant il croit sage aujourd’hui de se départir de cette règle. Il propose donc d’abandonner Atalanta, de renoncer à la défense impraticable de longues lignes de chemin de fer, et de diviser enfin son armée en deux. L’une, sous les ordres de son lieutenant, le général Thomas, se retirera du côté de Nashville, à portée des fleuves et des canonnières. Avec l’autre, lui, Sherman, abandonnant toutes ses communications, traversera le grand état de Géorgie, d’Atalanta à la mer, détruisant sur son passage les arsenaux, les voies ferrées de la confédération, prendra ses villes