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simplement gratté l’emblème national U. S., comme en d’autres pays on gratte le chiffre du souverain déchu. Accepter ce rôle, continuer à enseigner l’art de la guerre à des jeunes gens qui vont peut-être porter les armes contre son pays, lui fait horreur. Il donne sa démission et retourne au nord.

Au moment où il quitte la Nouvelle-Orléans, le drapeau de l’Union avait partout disparu ; il était remplacé par le pélican de la Louisiane. Des processions parcouraient les rues pour célébrer la délivrance ; le despotisme du gouvernement des États-Unis n’existait plus, chacun affectait de regarder le changement comme définitif. La chose était inévitable, dit à Sherman un vieil officier de l’armée qui venait d’accepter un commandement des rebelles, « la sécession est un succès complet ; il n’y aura pas de guerre, mais les deux gouvernemens arrangeront tout entre eux à l’amiable, et chacun vaquera à ses affaires sans plus de difficultés. »

Cependant, malgré cette confiance, les confédérés levaient et armaient des troupes, et devant ce spectacle Sherman s’indignait de plus en plus de ne pas voir venir de Washington le moindre signe d’efforts pour rétablir l’autorité nationale. À cette époque, son frère, abolitioniste déclaré, était sénateur des États-Unis. Sherman va le trouver à Washington. Le sénateur le mène à M. Lincoln. Cette première entrevue eut lieu dans une des salles de la Maison-Blanche et ne fut pas sympathique. « Mon frère, dit le sénateur, arrive de la Louisiane et peut donner quelques renseignemens. — Ah ! dit M. Lincoln, comment cela va-t-il là-bas ? .. — Ils pensent qu’on les laissera tout faire… ils se préparent ouvertement à la guerre, répondis-je. — Oh ! dit-il, je suppose qu’on trouvera bien moyen de faire aller la boutique. — Ces mots me coupèrent la parole, je ne répondis plus rien ; mais en sortant, profondément désappointé, j’éclatai contre mon frère John, maudissant tous les politicians en général ; Vous avez amené le pays dans un enfer, tirez-vous-en comme vous pourrez. »

Rien ne put retenir Sherman ; il se fit élire président d’une compagnie de chemin de fer, et partit pour Saint-Louis (Missouri) avec sa famille, résolu à se tenir complètement en dehors des événemens. Était-ce possible ? Le Missouri, placé entre les états du sud et les états du nord, était divisé en deux camps. Une moitié de la population sympathisait avec les séparatistes, l’autre avec les unionistes. Cette profonde division se retrouvait à Saint-Louis. Dans un camp d’instruction pour les milices d’état situé à la porte de la ville, toute la jeunesse esclavagiste était réunie en armes. Dans la ville se trouvait un régiment d’infanterie régulière fédérale, et quelques corps de volontaires allemands partisans du nord, levés par Frank Blair, frère d’un des ministres de M. Lincoln. Dans une