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américaine et glorieusement repoussé à Antietan le premier effort sérieux des armées sudistes, a disparu de la scène, emporté par le torrent des passions politiques. Quand plus tard une nouvelle tentative des confédérés est venue échouer à Gettysburg, dans cette terrible journée où les combattans ont laissé 40,000 hommes sur le champ de bataille, l’armée victorieuse se trouvait sous les ordres d’un, simple divisionnaire nommé Meade, investi par intérim d’un commandement en chef qu’il n’a plus exercé depuis. Seuls, Lincoln, Grant et Sherman ont traversé toute la crise, se fortifiant chaque jour dans une mutuelle estime, grandissant sans cesse dans la confiance de la nation et de l’armée. À eux trois enfin, ils ont terminé la guerre et pacifié le pays ; la reconnaissance nationale a su leur en tenir compte.

M. Lincoln, inconnu jusqu’alors et porté à la présidence par le hasard d’un compromis électoral, s’est trouvé providentiellement à la hauteur de la tâche immense qui lui était imposée. Guidé par son admirable bon sens, il a instinctivement joué le rôle que l’emploi des énormes armées modernes semble réclamer des chefs d’état : son nom a été la raison sociale de l’association d’hommes d’élite entre lesquels se fractionne leur maniement. Trait d’union entre eux tous, il n’a jamais entravé la vigueur de leur initiative, vis-à-vis de laquelle au contraire il était le premier à donner l’exemple de la discipline ; mais depuis l’heure où son élection fut le signal de la lutte jusqu’au moment où le cri de guerre des confédérés a été pousse pour la dernière fois par l’assassin qui le frappait à mort, il a su porter seul et sans faiblesse le poids de la responsabilité : grands services qui le placent dans la mémoire reconnaissante du peuple au même rang que Washington.

À côté de cet enfant trouvé de la politique, Grant et Sherman ont été les fils de leurs œuvres. Soldats par éducation, mais ne connaissant de l’art militaire que les principes, ils ont eu à faire face tout à coup aux difficultés d’une grande guerre sans aucune tradition pour les guider, mais aussi sans routines du passé pour les retenir ; ils ont résolu ces difficultés avec une sagacité, une originalité que tout le monde peut étudier avec fruit, et leur carrière se mesure au nombre et à l’éclat de leurs succès. Grant, mieux servi par les occasions au début de la guerre, a devancé Sherman. Taciturne, mais doué de la plus claire intelligence, il a tenu dans ses mains, sans les embrouiller, tous les fils épars d’opérations militaires qui embrassaient tout un continent ; son inébranlable ténacité a fini par triompher de tous les obstacles. Il est aujourd’hui président des États-Unis. Quant à Sherman, le plus clairvoyant, le plus entreprenant et le plus résolu de tous les généraux américains, celui dont les conceptions, hardies dans la pensée comme dans