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fait ses preuves pour mériter la place que le consentement universel et une tradition séculaire lui ont attribuée parmi les grands architectes.

Quelque considérable que soit en elle-même l’autorité qui lui appartient, M. Garnier nous semble donc avoir poussé bien loin la sévérité en déclarant absolument usurpée, ou peu s’en faut, la renommée de Michel-Ange dans le domaine de l’architecture. En tout cas, n’eùt-il pas mieux servi la cause qu’il entendait soutenir s’il se fût appliqué à confirmer par des témoignages plus précis la légitimité de ses accusations? Que l’architecte du nouvel Opéra de Paris, — tout en confessant d’ailleurs certains emprunts qu’il n’a pas dédaigné de faire à l’architecte du Capitole, — reproche à celui-ci d’avoir manqué de « charme et de finesse » dans l’étude des détails, qu’il l’accuse d’avoir «amené l’architecture à une période de décadence, » il n’y a rien là qui ne fasse honneur aux exigences de son propre goût, rien à quoi l’on ne puisse à la rigueur souscrire; mais il devient au moins difficile de croire M. Garnier sur parole quand il va jusqu’à dire que « Michel-Ange ne sait pas la grammaire, » — il dit à un autre moment « l’orthographe, » — et qu’il « a fait de l’architecture sans paraître se douter que c’était un art. »

L’indépendance des opinions et l’entière franchise du langage ont sans doute leur prix en matière d’esthétique comme ailleurs. Toutefois il ne suffit pas toujours pour convaincre les gens de leur dire résolument qu’ils se trompent; il ne suffit pas d’être hardi pour être persuasif; il faut encore appuyer sur des démonstrations les vérités qu’on veut faire prévaloir, et, — surtout quand on s’attaque à une gloire aussi unanimement respectée, — préciser ses griefs autrement que par quelques lestes paroles de blâme ou par des vivacités de style qui ne sauraient équivaloir à des raisons. A quoi bon insister? Les regrets que peut à certains égards inspirer le travail de M. Garnier, lui-même, avant de déposer la plume, ne les a-t-il pas éprouvés? Ne semble-t-il pas qu’il ait senti le danger ou tout au moins l’inopportunité de ses efforts pour démentir la tradition reçue? « Il est vraiment maladroit, dit-il en terminant, de chercher les taches du soleil, au lieu de se laisser tout bonnement éclairer et réchauffer par lui... Laissons-nous donc entraîner par le génie de Michel-Ange, laissons subsister la légende qui le représente comme le maître des trois grands arts. » Soit, mais alors n’eût-il pas été plus sage de commencer par cet acte de résignation et de s’accommoder tout d’abord d’une « légende » dont on devait arriver en dernière analyse à reconnaître ainsi la convenance et les bienfaits?

Quelle que soit au surplus dans l’ensemble des travaux de Michel-Ange l’importance relative des œuvres qu’il a produites comme architecte et même comme peintre, celles qui sont sorties de son ciseau suffiraient de reste pour caractériser son génie et pour en révéler la prodigieuse vigueur. Non-seulement Michel-Ange est le plus grand sculpteur