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moins dans les états-majors, si bien que la vie de certains d’entre eux résume toute l’histoire militaire de la Grande-Bretagne depuis le commencement du siècle jusqu’à nos jours. L’un des plus remarquables à ce point de vue est sans contredit le field-marshal sir John Burgoyne, breveté lieutenant des ingénieurs militaires en 1798, retiré du service actif en 1868 et mort trois ans plus tard dans la charge honorifique de constable de la Tour de Londres. A suivre d’un bout à l’autre cette longue carrière bien remplie, on passe en revue à peu près tous les événemens auxquels l’armée anglaise prit part en trois quarts de siècle; on apprend à quelles vicissitudes elle fut soumise et quelles réformes y étaient devenues nécessaires.


I.

Il existait sous George III un général Burgoyne qui fut mêlé aux événemens politiques et militaires de ce règne. Il avait épousé une fille de lord Derby, onzième du nom. Quoiqu’il fût issu d’une bonne famille du comté de Warwick, ce mariage pouvait compter pour une mésalliance. Lady Burgoyne étant morte sans postérité, le général contracta peu de temps après une union irrégulière, et mourut en 1792, laissant quatre enfans naturels sans aucune fortune. L’aîné, John Fox Burgoyne, était alors âgé de dix ans; on lui avait donné pour parrain le célèbre Fox, ami de son père, ce qui ne lui était pas d’une grande ressource. Ce qui valait mieux, lord Derby, grand-père du ministre actuel, le prit en amitié et se chargea de son éducation. Ce grand seigneur n’avait peut-être pas les qualités brillantes de son fils et de son petit-fils, qui tiennent la place que l’on sait dans l’histoire parlementaire contemporaine. Il est connu surtout comme le fondateur des fameuses courses de chevaux auxquelles son nom et celui de sa résidence d’Epsom restent attachés. Du moins il était généreux avec à-propos. L’enfant dont il devenait le père adoptif fit plus tard honneur à son patronage.

John Burgoyne sortit à seize ans de l’académie militaire de Woolwich. À cette époque, l’Angleterre ne laissait pas aux jeunes officiers le temps de s’amollir dans les douceurs de la vie de garnison. En 1800, il s’embarquait pour la première fois avec le corps de troupes envoyé à la conquête de Malte. On ignore aujourd’hui ce qu’était alors un voyage dans la Méditerranée. Partie de Woolwich le 15 avril, après diverses relâches à Spithead, à Gibraltar, à Mahon, la flotte n’arrivait à Malte que le 23 juillet. On sait que la garnison française, enfermée dans La Valette, se rendit après quarante jours de blocus, ses vivres étant épuisés. Burgoyne passa là quatre années presque tranquilles, sauf des missions temporaires