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les espèces de liberté, car les successeurs de Charlemagne ne sont plus que les représentans les plus avides de l’égoïsme féodal, et l’humanité allemande se trouve prise entre l’usurpation spirituelle des uns et le despotisme séculier des autres. Où se réfugie alors la liberté politique? Dans les montagnes, comme en Suisse, ou sur les bords des fleuves commerciaux, comme dans les villes de la Hanse, mais toujours sur la terre allemande. Pour la liberté religieuse, elle va prendre un essor autrement rapide.

C’est à la fin du moyen âge que l’Allemagne enfante la réforme, et, pour comprendre l’enthousiasme des Américains, il faut se rappeler que la liberté politique est, chez eux, fille de la liberté religieuse. Ils oublient trop facilement que Luther respectait beaucoup les pouvoirs établis. Quoi qu’il en soit, ce réformateur ne se gênait pas pour tracer aux princes leur devoir, et il donna à l’église une organisation indépendante. Embarrassée dans les liens du monde féodal, la jeune religion appelait de ses vœux un sol vierge, où l’expérience pût se poursuivre sans obstacle. L’Amérique le lui donna, et, chose bizarre, ce furent des huguenots français qui s’avisèrent les premiers d’aller planter en Nouvelle-Ecosse les principes de Calvin. D’où l’auteur conclut que « l’Allemagne, quoiqu’elle ne s’appropriât aucun territoire dans le Nouveau-Monde, a donné aux colonies la loi fondamentale de leur existence morale. »

Ne croyez pas cependant que M. Bancroft se contente d’une sympathie aussi vague que lointaine. Au moment même où des hommes hardis allaient chercher au delà des mers une liberté qui les fuyait, d’autres la demandaient tout simplement à une terre promise moins éloignée, et ce Chanaan, c’est, on le devine, l’électorat de Brandebourg. Ainsi la sécularisation intéressée de la Prusse, l’adhésion de l’électeur Sigismond aux principes des pèlerins, puis plus tard l’ordre admirable qui règne dans cette caserne protestante, sont présentés comme des gages donnés à la cause de la raison et de la liberté. En face de l’Autriche, Frédéric II devient une espèce d’apôtre chargé de conserver, dans un sanctuaire allemand, le dépôt sacré des vérités morales. Bientôt l’émancipation philosophique suit l’émancipation religieuse avec Kant, Lessing, Herder, Klopstock, Goethe, Schiller, et l’histoire de l’Amérique recueille avec empressement les velléités libérales de ces philosophes, qui ont presque tous témoigné de leur sympathie pour les Américains. Ainsi s’accomplit, sans sortir de l’Allemagne, la dernière évolution de l’esprit humain, à moins que les mécontens et les rêveurs, pour couronner l’œuvre, ne rappellent la liberté politique dans ces forêts où elle n’a pas beaucoup résidé depuis sa naissance.

Ne semble-t-il pas que M. Bancroft a écrit ces pages pendant son dernier séjour à Berlin, sous l’influence de savans remarquables,