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noncée. On raconte à ce sujet que pendant longtemps il fut impossible de trouver un bourreau dans tout le royaume, et qu’on dut renoncer à en chercher à l’étranger parce que la population les massacrait. En présence de cet obstacle, on songeait à réviser la loi quand un malheureux se présenta, c’était, je crois, vers 1850 ; depuis cette époque, les exécuteurs n’ont pas fait défaut. Ce personnage est logé comme les condamnés, dans un des castels. Il se passe quelquefois un long temps sans qu’il ait à exercer son métier, tandis qu’il lui est arrivé, quand l’armée avait fait une importante capture de klephtes, de trancher jusqu’à sept têtes par jour. On se rappelle le drame encore récent de Marathon, et l’exposition sur la place d’Athènes des têtes mutilées des brigands.

J’ai assisté à une exécution près d’Aigion, dans la campagne ; c’est un souvenir qui m’est resté présent. Un habitant d’un village des environs avait empoisonné sa femme pour épouser sa maîtresse. De pareils actes sont rares en Grèce et n’excitent nullement la pitié ; on avait fait l’autopsie de la victime, et quand on eut reconnu qu’elle avait absorbé de fortes doses de phosphore, le prévenu fut condamné à mort. Un empoisonneur n’est pas un homme intéressant en Orient ; les passions violentes du midi méprisent les moyens détournés ; le fusil, le couteau, font plus prompte et plus franche justice ; mais la guillotine passe rarement à Aigion, et le spectacle d’une exécution devait être pour la plupart des habitans une nouveauté, pour tous une distraction.

Quand le jour fixé fut venu, dès le matin de nombreux groupes se formèrent, inquiets de savoir quel emplacement l’autorité avait choisi, et peu à peu quand le bruit courut que la guillotine se dressait dans un champ au-dessous de la ville, le public empressé se dirigea vers la mer. Il était environ huit heures du matin, un matin d’avril ; la brise de la mer semblait chanter dans les branches des platanes et faisait trembler avec un frémissement joyeux leurs feuilles encore blanches ; la plaine s’étendait à l’est luxuriante et les vignes étalaient déjà leur jeune verdure au milieu des oliviers noirs ; le champ du supplice était planté de serpolet que le vent agitait par longues ondulations comme les vagues de la mer. Quand les spectateurs furent las de contempler l’échafaud vide, entouré de gardes, les regards se tournèrent peu à peu vers l’ouest près du port. Une petite frégate arrivée la veille au soir se balançait légère sur le bleu du golfe à un mille environ de la côte. C’était là qu’était le condamné : depuis plus de quinze heures, il attendait l’instant de son supplice, et pendant la nuit il avait entendu les manœuvres des matelots qui débarquaient la guillotine. Tout à coup un long murmure, un cri de joie à peine étouffé s’éleva de la