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tend, comme on peut le penser, sur tout ce qui touche à l’administration ; la justice n’y est pas plus soustraite qu’un autre pouvoir, et chaque ville étant divisée en deux factions puissantes autour desquelles se rangent tous les habitans, il en résulte que tous les accusés sont toujours forcément jugés par des compères ou par des ennemis. Aussi le moindre procès civil ou criminel se trouve-t-il dès le début l’occasion d’intrigues de toute sorte ; comme on doit profiter et se réjouir de la fortune d’un ami, c’est également un devoir sacré de le soutenir dans le malheur. S’il s’agit d’argent à donner, le dévoûment est souvent inutile ; mais, quand il faut entraver ou favoriser l’action de la justice, l’amour-propre et l’esprit de parti animent tous les cœurs, et il n’est pas une demande qu’on épargne en faveur d’un ami ou contre un adversaire. La situation des juges est embarrassante : les chefs parlent haut et menacent, il est très imprudent de les mécontenter, et les malheureux savent bien que ce n’est pas en leur parlant de devoir, mot beaucoup trop vague pour des intelligences pratiques, qu’ils leur feront entendre raison. Invoquer l’autorité serait un enfantillage, puisqu’ils sont toujours certains d’être remplacés, quoi qu’ils fassent, après les nouvelles élections ; opposer des textes de lois indiscutables ? c’est un bien piètre argument pour les esprits les plus rusés d’Europe. Les meilleures raisons sont impuissantes contre un parti-pris, et quand on entend dire, à l’honneur de la magistrature grecque, qu’on a vu des juges placer leur conscience au-dessus de leurs intérêts et de leur rancune, on peut demander très sincèrement comment ils font.

Cependant on juge, on acquitte, on condamne. Les Grecs ont, à peu de chose près, les mêmes institutions pénales que les nôtres, depuis la prison préventive jusqu’à la peine de mort, comme ils ont la même organisation judiciaire ; mais chez eux la cour d’assises joue relativement un plus grand rôle qu’en toute autre nation, parce qu’il y a plus d’homicides que de vols en Grèce. C’est une anomalie qu’on s’explique en songeant au triste métier que ferait un voleur dans ce pauvre pays, et en se rappelant avec quelle facilité les plus honnêtes gens se laissent aller à cette extrémité de l’assassinat quand il s’agit d’une vieille haine ou d’une vengeance. Les Hellènes ont un petit bagne et quelques prisons plus souvent vides qu’encombrées. Quand un prévenu est condamné aux travaux forcés on l’envoie aux Castels : ce sont deux anciens fortins turcs convertis en maison d’arrêt et en pénitencier, bâtis en face l’un de l’autre sur deux presqu’îles étroites, Rhion et Anthirhion, qui s’avancent toutes deux également dans la mer et ferment l’entrée du golfe de Corinthe au-dessous de Patras. Quelquefois la peine capitale est pro-