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tionner dans les tribunes de l’église de petits caissons de 10 centimètres cubes environ, en carton très dur, et fortement serrés avec de la corde goudronnée ; un tuyau en roseau, préservant la mèche, y est adapté ; c’est là ce qu’on appelle les varellota.

La troupe, bien fournie de munitions, s’avance en chantant dans les rues jusqu’à ce qu’elle rencontre une seconde bande, celle de la paroisse de Saint-André. Alors le combat commence : deux camps se sont formés, et chacun, tirant de sa ceinture une varellota, l’allume à un tison embrasé et la lance sur les adversaires. Les varellota volent de tous côtés, se croisent en traçant dans l’air un léger cordon de fumée et viennent tomber comme une grêle d’obus dans chaque camp, où elles éclatent avec une détonation plus forte que celle d’un coup de fusil. C’est l’instant le plus animé de la fête. Comme on peut le croire, ce jeu barbare est la source de nombreux accidens presque toujours graves. Souvent en effet un des combattans, maladroit ou trop lent, laisse éclater la petite bomba dans la main, et c’est à peine si l’on compte à la fin de la journée les mains déchirées ou emportées et les malheureux aveuglés ou estropiés pour toute leur vie. Au reste de semblables exemples, répétés chaque année, ne corrigent personne, et je me rappelle avoir vu ce jour-là un jeune homme à qui l’on avait dû couper le bras droit à la suite d’un accident semblable, se consoler de cette disgrâce en se servant du bras qui lui restait avec plus d’ardeur qu’aucun de ses compagnons encore valides. Parfois aussi, et c’est ce qui se produisit en ma présence, la lutte dégénère en véritable bataille : les deux partis se passionnent pour leur église et leur drapeau ; les varellota viennent à manquer, on se bat corps à corps ; les plus violons tirent de leur ceinture les poignards et les pistolets, et le lendemain on apprend qu’au milieu de jeunes gens très grièvement blessés, un malheureux a été percé de vingt -deux coups de couteau. Ce sont des accidens qui se renouvellent tous les ans, et la police serait impuissante à les prévenir en face de l’enthousiasme et de la passion que tous les habitans d’Aigion apportent à ce divertissement.

Le 23 avril est encore une fête devenue nationale pour tous les Grecs. C’est la Saint-George, le patron de leur roi. Rien de particulier ne la signale à Aigion, si ce n’est que toute une partie de la ville rend visite à l’autre. C’est la coutume à Aigion, comme dans toutes les provinces grecques, d’aller saluer le jour de leur fête tous les amis qu’on peut avoir. Le prénom de George est avec ceux de Demitri et de Constantin le plus répandu en Grèce, et il est vraiment curieux d’assister ce jour-là, dans la maison d’un personnage connu, aux nombreuses visites qu’on vient lui faire. Dès le matin, tous les George de la ville font préparer sur de grands plateaux