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romances ne sont pas écrites, et, comme les tragoudia, se transmettent de l’un à l’autre par la mémoire des hommes, mais les notes en sont très compliquées, l’harmonie très douteuse, et le musicien qui répète tant bien que mal l’air qu’il vient d’apprendre le transforme en grande partie. Passant ainsi successivement par plusieurs interprètes, la moindre complainte reçoit peu à peu tant de modifications qu’elle finit par ne plus ressembler à ce qu’elle était à l’origine, et on peut dire qu’en ce cas chaque musicien est bien plutôt compositeur qu’exécutant. N’écoutant que sa fantaisie, un jour, selon que la brise est plus fraîche ou plus lourde, selon que lui-même est triste ou joyeux, il trouve des accens dont l’harmonie orginale émeut et ravit son auditoire, tandis qu’une autre fois, s’il répète le même air une heure seulement après, et que son inspiration veuille y changer quelque chose, l’oreille ne distingue plus qu’un fracas de sons confus et criards, assourdissant et aussi désagréable à entendre que la première mélodie était charmante.

La musique de province ressemble beaucoup à la musique turque, et quand elle n’en est pas directement inspirée, lui est de beaucoup inférieure. C’est un chant plaintif, monotone, généralement triste, quelquefois joyeux et bruyant, impossible à noter dans notre musique. La mesure et le ton changent atout instant ; au début, c’est un rhythme traînant, paresseux, une sorte de long gémissement : de temps à autre, un choc de sons bizarres réveille l’attention de l’auditeur, la cadence se presse, se heurte, la note se précipite ; puis la même harmonie lente, uniforme, revient sur une phrase triste répétée dix fois de suite, et le chant finit brusquement sur un accord, ou en mourant sur un trille prolongé indéfiniment, ou par une note sensible.

Il est peu de petite ville qui n’ait son orchestre ; Aiglon en possédait trois il y a un an. L’un, qui venait d’Athènes, se composait d’un violon et d’une flûte : c’était l’orchestre savant, près duquel les jeunes gens venaient apprendre à écorcher quelques-unes des romances italiennes qui ont envahi le Péloponèse par les îles ioniennes. Le second, plus ancien, mais non moins recherché, était l’orchestre du pays. Un violon et une guitare en faisaient les frais. Étranger aux innovations de l’opéra italien, ce dernier ne jouait que de la musique grecque ou des amanès turcs ; c’est celui que préfèrent les Européens. — Les tavoulia (tambourins) forment un troisième orchestre, plus populaire que tous les autres. Trois bohémiens le composent : l’un joue d’une sorte de fifre en roseau mince et long, dont il tire par instans des sons aigus et prolongés qui semblent devoir percer le tympan ; les deux autres l’accompagnent à la fois de la voix en hurlant et de leurs tambourins couverts de clo-