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un isolement presque complet au milieu des Grecs m’ont permis de réunir des observations de toute sorte ; j’ai voulu, en écrivant ces lignes, sauver de l’oubli quelques coutumes originales et pittoresques qui vont se perdant de jour en jour, et présenter, comme on l’a fait tant de fois pour leurs ancêtres, les Grecs d’aujourd’hui avec leurs physionomies, leurs costumes, leurs mœurs, leur caractère et leurs institutions.

I.

Aigion ou Vostizza, — c’est le nom moderne, — est une petite ville située sur la côte nord du Péloponèse entre Patras et Corinthe, au bord du golfe de Lépante. Il en est peu qui aient conservé comme elle en Grèce ce caractère éminemment original que les touristes voient disparaître avec tant de regrets. Ce n’est plus, comme Athènes, une simple copie des cités européennes ; c’est une ville grecque, on le voit au premier coup d’œil. Bien que dans la nomenclature administrative du royaume des Hellènes, Aigion porte le titre pompeux d’éparchie, c’est cependant presque un village, et la civilisation n’y a rien apporté de ses innovations, le sous-préfet, le maire, le conseil municipal étant trop occupés de ce qu’ils appellent la politique pour songer à l’entretien et à l’embellissement de leur ville. La nature au reste se charge d’y pourvoir, et je ne connais pas de site à la fois plus beau et plus gracieux que cette falaise où brille gaîment sous le ciel bleu une couronne de coquettes maisons blanches.

De hautes montagnes, contre lesquelles Aigion semble adossée, limitent au sud l’horizon ; à droite et à gauche, la falaise s’abaisse peu à peu jusqu’à la plaine couverte de myrtes, d’oliviers et de vignes. Deux torrens, le Sélinus et le Méganitas, à sec pendant dix mois de l’année, coupent la riche végétation des champs par l’éclat mat de leur lit de pierres blanchâtres, semé çà et là de touffes de lauriers-roses, et serpentent jusqu’à la mer.

Le port est petit, mais profond et toujours calme ; quelques bateaux de pêcheurs, deux ou trois caïques de transport s’y balancent silencieusement, entourés de quelques petites barques. Un môle étroit, formé de roches amoncelées et souvent recouvert par les vagues, s’avance un peu dans la mer, tenant lieu de jetée et de quai. Entre le port et la falaise, à droite, quatre ou cinq magasins uniformes et nouvellement construits servent de docks aux riches propriétaires du pays ; à gauche, du côté où la falaise se dresse à pic, six ou huit cabanes aux tons sales, entassées les unes sur les autres dans un creux de rocher, sont en partie cachées à la vue