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d’ayde foraine, et n’y préparant autres armes que celles de la justice[1]. » Bouillon trouva les états et le prince Maurice peu sensibles à son infortune ; il essaya vainement de remuer le roi Jacques d’Angleterre en sa faveur. Dans un moment de tristesse, il écrivait en Hollande : « Au moins, si mon sort me porte par-delà, j’espère qu’on ne me refusera pas une picque en quelque régiment. » Son beau-frère La Trémoille lui resta complètement fidèle. Il intercéda fortement auprès du prince Maurice en sa faveur. Il était si convaincu de son innocence qu’il ne voulut plus reparaître devant le roi.

Sully vint le visiter à Thouars, lui parla des desseins du roi sur les Pays-Bas, couvrant les menaces sous les caresses. La Trémoille tomba malade ; il mourut en chrétien au mois d’octobre 1604. « Sa tête, dit brièvement Sully, ôta une tête aux séditieux. » (Mémoires de Sully.) Ces paroles sont trop sévères. Il est bien vrai qu’un peu avant sa mort La Trémoille écrivait au comte Jean de Nassau pour lui affirmer l’innocence du duc de Bouillon, a les vraies causes de sa défaveur étant l’honneur et la gloire de Dieu, j’estime que vous serez d’autant plus affectionné d’agréer son bon droit, qui a besoin de remèdes forts, car les moindres ne sont suffisans[2]. » Jean de Nassau et six princes allemands intercédèrent en effet collectivement auprès de Henri IV en faveur de Bouillon, qui lui-même envoya, peu après la mort de La Trémoille, un mémoire justificatif au roi, où il traitait les accusations portées contre lui d’ordures, d’horreurs, d’énormités. Il prenait à témoin le a scrutateur des cœurs, » il se défendait d’avoir voulu faire des levées, armer ceux de la religion, ni traiter avec le duc de Savoie et le roi d’Espagne.

Le roi fut sans doute ému de pitié par la mort de La Trémoille, par la désolation de la « belle Brabant, » qui restait veuve avec six enfans ; il ne voulait que disloquer les grandes familles huguenotes, la mort s’en chargeait pour lui. Pour la princesse d’Orange, elle ne cessait de donner les meilleurs conseils à la duchesse de La Trémoille. « Le meilleur remède est le temps, la patience et l’humilité de M. de Bouillon. Mon opinion et celle de tous ceux de deçà est telle, et que s’il en recherche d’autres, il ruinera plus ses affaires qu’il ne les avancera. » (Lettre du 5 mars 1603, de La Haye.) Le roi pardonna à Bouillon ; il avait une respectueuse tendresse pour la princesse d’Orange ; il voulait ménager les princes allemands ; il attachait un grand prix à l’amitié des Nassau ; il savait être sévère, il savait aussi être généreux.

Les douleurs de la duchesse de La Trémoille, les inquiétudes des Bouillon n’étaient pas les seuls ennuis de la princesse d’Orange ; ce fils qu’elle avait élevé avec tant de soins, pour qui elle cherchait

  1. Correspondance de M. de Buzenval, p. 387.
  2. Archives de Nassau, lettre de juillet 1613.