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le premier au feu ; elle avait perdu quelques-uns de ses généraux, nombre d’officiers morts devant l’ennemi. Elle ne restait pas moins frappée d’une démoralisation immense comme une armée composée de conscrits, engagée sans illusion et convaincue qu’elle vient de payer de son sang les folies des agitateurs. Les chefs avaient de la peine à retenir leurs soldats, qui se repliaient dans l’intérieur, propageant la panique. A Turin, l’opinion flottait entre le découragement et l’exaspération. Les clubs retentissaient plus que jamais de déclamations passionnées, et naturellement on criait à la trahison. Dans la chambre, Brofferio proposait de décréter l’insurrection universelle et de former dans l’assemblée un comité de salut public. Les motions se succédaient, l’une déclarant naïvement l’armistice inconstitutionnel et le « statut » en péril, l’autre menaçant de mettre le gouvernement en accusation, s’il ouvrait les portes d’Alexandrie aux Autrichiens, une troisième proposant gravement une enquête sur la situation et sur les moyens de continuer la guerre : tout cela comme si l’ennemi n’était pas à quelques marches, prêt à jouer de l’épée victorieuse, si on le défiait.

Ce qui se passait à Turin n’était rien encore. A la première nouvelle du désastre. Gênes, la populeuse et ardente cité, la ville privilégiée du mazzinisme, prenait feu, passant bientôt de l’agitation à l’insurrection, à une véritable révolution. — L’armée avait trahi ou avait été trahie par ses chefs ! Le « statut » était violé ! Turin allait être aux mains des Autrichiens, et Gênes elle-même devait être livrée comme garantie de la contribution de guerre ! Avec ces bruits perfidement propagés, les agitateurs enflammaient les esprits et donnaient le signal de la guerre civile. La garnison, composée de réserves, faiblement commandée, était réduite à se retirer, après une pénible capitulation devant l’émeute, qui restait ainsi maîtresse de la ville, des armes, de l’immense artillerie, des forts, des défenses de la première place de l’état. La populace déchaînée massacrait quelques malheureux, parmi lesquels se trouvait un major de carabiniers, et le commandant militaire de la ville, le général et sa famille étaient retenus comme otages. La démagogie génoise conduite par un ancien émigré, le vieux Avezzana, se constituait en « comité de salut public, » en « gouvernement provisoire de la Ligurie. » Elle refusait de reconnaître l’armistice ; elle se séparait du Piémont, elle humiliait l’armée et se mettait en insurrection contre les pouvoirs réguliers. C’était en vérité dès 1849, à Gènes, comme une ébauche anticipée de la commune de Paris en 1871. Cette démagogie, empressée à profiter d’un désastre du pays, ne voyait pas qu’elle commettait un crime de trahison nationale, qu’elle ne pouvait qu’aggraver les misères publiques, attirer sur le