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le mot décisif. « L’heure suprême a sonné pour la monarchie sarde, écrivait-il le 23 mars 1848, l’heure des fortes délibérations, l’heure qui décide de la fortune des empires et de la destinée des nations. En présence des événemens de la Lombardie et de Vienne, l’hésitation, le doute ne sont plus permis… Nous, hommes de sang-froid, accoutumés à suivre les conseils de la raison plus que les emportemens du cœur, après avoir pesé attentivement nos paroles, nous devons le déclarer, une seule voie est ouverte pour la nation, pour le gouvernement, pour le roi : la guerre ! la guerre immédiate… Dans les circonstances actuelles, la grande politique est celle des résolutions audacieuses… » Du premier coup, Cavour se plaçait ainsi au cœur du mouvement italien, devançant les plus hardis, abordant sans excès d’illusion peut-être, mais aussi sans de vains subterfuges, cette double question de liberté constitutionnelle et d’indépendance nationale qui apparaissait brusquement dans une explosion universelle.


II

C’est la destinée de l’Italie d’avoir montré en peu d’années comment une révolution nationale peut tristement échouer, faute de maturité et de direction, — comment au contraire cette même révolution peut retrouver le succès lorsqu’elle est patiemment préparée et habilement conduite. Ce qu’on ne savait pas au mois de mars 1848, ce qui a été depuis la leçon de toute une génération, c’est que cette crise soudaine, peut-être inévitable, devant laquelle des hommes comme Cavour croyaient ne point devoir reculer, ne restait pas moins la plus périlleuse des épreuves. Aux premiers instans sans doute, les circonstances paraissaient justifier l’audace, et la fortune semblait sourire à l’Italie. L’armée de Radetzki refoulée de Milan et de la Lombardie, réduite à s’enfermer dans Vérone au milieu d’un cercle de feu, presque abandonnée par les nouveaux pouvoirs de Vienne, cette armée n’était, — on pouvait le croire, — qu’une dernière défense insuffisante pour la domination autrichienne au-delà des Alpes. L’armée piémontaise, de son côté, passant le Tessin sous les ordres du roi Charles-Albert, pouvait arriver d’un seul élan sur les lignes du Mincio et de l’Adige ; pendant quatre mois, elle combattait, elle s’honorait par des actions courageuses, et, un jour venait, — le jour de la prise de Peschiera et du brillant succès de Goïto, — où la cause de l’indépendance italienne semblait presque gagnée. En réalité, c’était une grande aventure mal engagée, compliquée de toutes les inexpériences, de toutes les illusions et de toutes les passions qui devaient la conduire à un fatal dénoûment.