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la physionomie caractéristique d’un personnage fait pour ne pas rester en chemin. C’est Camille de Cavour à trente-six ans, vers 1846 et 1847 ; c’est Cavour respirant la vie et la force, doué d’une sorte d’entrain contagieux, prodiguant son activité sans l’épuiser, alliant la mesure à la hardiesse, la flexibilité à la décision, le sentiment traditionnel et conservateur à tous les instincts modernes, — Italien et libéral sans être un révolutionnaire et un conspirateur, aimant la France par goût et formé aussi à l’école anglaise. Cavour, par certains côtés, a eu dans sa nature du Charles Fox. Il avait du brillant chef des whigs l’ardeur de tempérament, la puissance de l’esprit, la séduction, l’ironie sans amertume. Il avait de plus que Charles Fox l’instinct, la trempe naturelle de l’homme de gouvernement et dans ses rêves d’ambition il ne se contentait pas d’un rôle de chef d’opposition. Ses goûts, ses admirations étaient pour d’autres hommes qui savaient au besoin sacrifier leur popularité pour le salut de leur patrie. « Oui, mon cher, écrivait-il avec feu en 1847, la réforme de Peel a été le salut de l’Angleterre. Que serait-il arrivé, si l’on eût laissé subsister la trop fameuse échelle mobile ? Il est probable que l’Angleterre aurait été prise au dépourvu après la récolte actuelle, et alors que serait-il arrivé ! L’Angleterre doit des statues à Peel, un jour il les aura. » S’il rencontrait dans le passé, à propos de l’Irlande, la figure de Pitt, il s’enflammait, il semblait puiser en lui-même quelques-uns des traits sous lesquels il peignait le fils de lord Chatam. « Il avait, dit-il, les lumières de son temps, il n’était pas l’ami du despotisme, le champion de l’intolérance. Esprit puissant et vaste, il aimait le pouvoir comme un moyen, non comme un but… Ce n’était point un de ces hommes qui veulent refaire la société de fond en comble avec des conceptions générales et des théories humanitaires. Génie profond et froid, dénué de préjugés, il n’est animé que de l’amour de la patrie et de la gloire… S’il eût exercé le pouvoir dans un temps de paix, de tranquillité, il eût été un réformateur à la manière de Peel et de Canning, alliant la hardiesse et l’ampleur des vues de l’un à l’habileté et à la sagesse des vues de l’autre… »

Pitt, Canning, Robert Peel, voilà les hommes que Cavour aimait à prendre pour modèles, et c’est ainsi qu’au moment où s’ouvrait pour l’Italie la période des réformes, des agitations et des illusions, dont l’avènement de Pie IX fut le signal, « l’obscur citoyen du Piémont » se trouvait d’avance mieux que tout autre armé pour la vie publique. Aux premières concessions du roi Charles-Albert, à la fin de 1847, il se jetait résolument dans cette carrière nouvelle, non comme un agitateur de plus, mais comme un conseiller, comme un guide, par un journal, le Risorgimento, qu’il créait avec ses amis