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destinés à l’illustration dans un autre pays. Par son aïeule paternelle, Camille de Cavour tenait à la Savoie et à l’aimable race de saint François de Sales ; il tenait à Genève par sa mère, une de Sellon, et un peu à la France par bien des relations, par les deux sœurs de sa mère, mariées, l’une au duc de Clermont-Tonnerre, personnage de cour sous la restauration, — l’autre au baron d’Auzers, gentilhomme d’Auvergne qui, après avoir été fonctionnaire de l’empire au-delà des Alpes, restait fixé à Turin. C’est dans ce monde varié, au fond très uni, souvent rassemblé à Turin ou à Genève, c’est dans cette atmosphère saine et fortifiante que Camille de Cavour était né et avait grandi, — enfant robuste, heureux de vivre, pétulant et répandant la joie autour de lui, — jeune homme au caractère décidé, à l’esprit libre et ouvert, à l’intelligence prompte à tout saisir ou à tout deviner.

Cavour a été un des plus jeunes de cette génération qui, au lendemain des restaurations de 1815 et sous le poids des réactions prolongées, a commencé à mûrir dans l’obscurité des règnes absolutistes pour l’affranchissement de l’Italie et les revendications libérales. Il n’avait que cinq ans en 1815, au moment où se dénouait la tragédie guerrière qui emportait l’empire et relevait le Piémont indépendant. À dix ans, admis à l’académie militaire, cette école de la jeune noblesse, et bientôt attaché comme page à la maison du prince de Carignan, de celui qui devait être Charles-Albert, il avait du premier coup laissé éclater l’impétueuse vivacité de son humeur native en se révoltant contre cette domesticité dorée. À dix-huit ans, il était le plus brillant et le plus aimable des sous-lieutenans du génie, menant gaîment la vie militaire à Vintimille, à Turin, à Gênes, — surtout à Gênes, où il trouvait la liberté et les séductions d’une ville d’affaires et de plaisirs. À vingt-deux ans, il avait déjà donné sa démission, après avoir payé d’une disgrâce, d’une sorte d’exil dans une petite station des Alpes quelques paroles trop hardies, un cri d’émotion généreuse et sympathique dont il avait salué la révolution française de 1830. Réduit, pour toute distraction, à jouer au tarok avec les entrepreneurs du fort de Bard, son lieu d’exil, et menacé d’être toujours suspect à un pouvoir ombrageux, il avait pris son parti, il se résignait à n’être plus qu’un « obscur citoyen du Piémont, » comme il s’appelait lui-même, un jeune fils de famille, arrêté au seuil d’une carrière brillante ; mais cet « obscur citoyen du Piémont, » ce jeune homme vibrant à un souffle de liberté venu de France, cet officier démissionnaire de vingt-deux ans, était de ceux qui arrivent par tous les chemins, qui ne se laissent ni abattre ni même irriter par un mécompte ou une disgrâce. Exilé de la vie militaire, il se retrouvait le lendemain alerte et