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De là le mépris qu’il montre pour ces relations de la vie qui sont le point essentiel. Sans doute le devoir filial était trop profondément gravé dans le cœur humain pour n’en pas tenir compte; aussi Jésus lui donne-t-il une place dans sa doctrine, mais une place subalterne, et en le détournant de son véritable objet vers un objet imaginaire placé dans le ciel. Quant au devoir de soumission comme sujet, qui est presque aussi important, il ne le compte pour rien; lui-même il donne l’exemple de la rébellion sous toutes les formes. Donc les liens de famille se relâcheront, et les discordes civiles éclateront partout où se répandront ses préceptes. Entraînés par l’espoir du bonheur futur, ses adhérens ne reculeront devant rien pour y parvenir, n’hésiteront devant aucune désobéissance. Quant à cet état dont Jésus parle avec tant de confiance, c’est une fantaisie de son imagination fondée sur une connaissance imparfaite des rapports entre l’âme et le corps. Confucius, lui, ne connaissait pas cet état et refusait de s’en occuper. Qu’est-ce après tout qu’une manière d’être où les plaisirs et les facultés de cette vie n’ont plus de place? Comment raisonner là-dessus? » L’auteur japonais n’en fait donc nul cas; ni au prix d’une couronne impériale, ni sous la menace du feu éternel, il ne consentira à s’écarter de la voie toute tracée des devoirs purement humains.

Après avoir discuté les mérites de la doctrine du Christ, dans la troisième partie, il s’attaque aux thèses qui y ont été ajoutées par ses successeurs : la théorie de la rédemption ne lui semble qu’une pure invention, la résurrection n’est qu’une pieuse fraude des disciples, car, à supposer que Jésus fût vraiment revenu à la vie, comment admettre qu’il ne soit apparu qu’aux apôtres et qu’il ne se soit pas montré au peuple pour fortifier sa foi? La quatrième partie est consacrée à combattre l’erreur de ceux qui regardent le christianisme comme une superstition du même caractère inoffensif que le bouddhisme : c’est lui faire trop d’honneur. Comme loi morale, on a vu qu’il est très inférieur; d’autre part son esprit agressif, impatient de contrôle et de toute rivalité, tend à détruire toutes les coutumes établies chez une nation. Depuis son apparition avec le Messie, qui se déclarait venu dans le monde pour y apporter la discorde, jusqu’à nos jours où il a engendré vingt-cinq sectes différentes en Amérique, il a eu pour caractères l’intolérance et le fanatisme. C’est ce zèle aveugle qui constitue son principal danger au Japon. Ceux qui pourraient l’embrasser sont des gens du peuple ignorans et crédules, surpris par des argumens spécieux et répondant à l’appel que l’on fait à leurs appétits égoïstes. Ses partisans ne cherchent qu’à obtenir pour eux-mêmes le bonheur céleste, et c’est un mobile qui n’est propre qu’à corrompre cet idéal de dévoûment au prince sur lequel reposent le caractère et les mœurs de la