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brochure parue dernièrement[1], qu’on n’a pas été peu surpris de voir accompagnée d’une préface de Shimadzu Saburo, prince de Satzuma, le dernier représentant de la féodalité japonaise, celui-là même qui cause en ce moment tant de tribulations au gouvernement de Yeddo. C’est l’exposé le plus complet et le plus méthodique qui ait été fait par un lettré japonais des objections de toute nature que soulève et des sentimens que rencontre dans la classe la plus distinguée la religion des barbares de l’ouest. L’essai est divisé en cinq parties : la première et la plus longue est consacrée à une revue générale et rapide des livres mosaïques sous forme d’un commentaire attaquant tantôt la sincérité des témoignages, tantôt la valeur de l’enseignement qui en résulte. Le monde créé de rien, tandis que l’homme et la femme sont pétris de limon ; le serpent doué de la parole, la faute d’Ève retombant sur ses descendans, le déluge, la destruction universelle, l’arche et la confusion des langues opérée par Dieu dans la crainte de voir s’élever une tour trop haute, sont autant d’inventions que l’auteur rejette sans hésiter, et il ajoute : « Toutes les histoires de la Bible sont semblables. Il faudrait un mois pour en exposer la fausseté en les prenant une à une. L’intervention de Jéhovah dans la vie des patriarches pour les faire changer de nom, les marier, les faire divorcer, etc., semble plutôt d’un homme que d’un Dieu. Quelle mesquinerie ! Et puis ce Dieu, qui est le père de l’humanité, l’oublie sans cesse en ne s’occupant que de son peuple à lui ; il détruit les Égyptiens par colère, c’est une divinité malfaisante, sars cesse acharnée au carnage. »

Dans la seconde partie, qui est incomparablement la plus intéressante et la plus neuve, l’auteur, se plaçant au point de vue d’un disciple de Confucius, essaie de juger la valeur du christianisme comme loi morale. Aux yeux du philosophe chinois, « la fin de l’homme est atteinte lorsque, tous les particuliers vivant tranquilles dans leurs maisons, tout l’univers est en paix. » Pour arriver à cet état de perfection, il faut pratiquer les cinq vertus cardinales, qui peuvent se résumer dans les deux principales, la fidélité envers les supérieurs civils et politiques de tous grades et l’obéissance respectueuse envers les divers membres de la famille, en premier lieu les père et mère. L’harmonie dans la famille qui en résulte est la base de l’ordre public. Fidélité et respect filial, voilà donc les deux grands devoirs de tout homme vivant. Eh bien ! l’erreur fondamentale de Jésus, c’est qu’il fait peu ou point de cas de notre vie réelle et actuelle et qu’il dirige toutes les pensées, toutes les aspirations, vers une vie future dont la félicité sera sans mesure et sans terme.

  1. Bemmo, or an exposition of error' (being a treatise directed against christianity), by Yasui Chinhei, a japanese scholar, with a preface by Shimadzu Saburo. Translated by J. H. Gubbins, of H. B. M. légation. Yokohama.