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suivi par une population païenne qui l’a façonné à son goût et à la mesure de son intelligence. Il a été plutôt vaincu par la crédulité qu’il n’a conquis l’âme religieuse de la nation.

Ce serait une étude ingrate qu’un dénombrement complet des 30,000 habitans du panthéon japonais. C’est à peine si l’on peut fixer approximativement le nombre des déités de divers ordres qui ont, suivant leur rang et l’efficacité de leur intervention, une plus ou moins grande quantité de temples et d’adorateurs. Chaque secte a ses préférés; chaque province, chaque ville, chaque lieu célèbre, a son patron, son dieu de prédilection, les uns participant franchement de la nature divine, les autres regardés seulement comme des mortels parvenus à la suite d’une vie exemplaire à l’état de hotoké, c’est-à-dire bienheureux replongés dans le nirvana, ces derniers sont ceux qu’on prie avec le plus de zèle pour en obtenir des bienfaits généralement très temporels. Parmi les premiers, voici d’abord Tai-shuku-sama (empereur des cieux), portant un globe dans la main gauche et protecteur de la vie humaine et terrestre, — Mari-shi-ten-sama. patron des étudians et des apprentis, pourvu de trois faces et de six bras et assis sur un sanglier au galop, — Kangi-tensama (joie céleste), représenté jadis par deux figures qui s’embrassaient en souvenir d’Izanami et Izanaghi, créateurs du Japon. Fudosama, assis au milieu des flammes, tient d’une main un glaive et de l’autre une corde pour châtier les méchans et lier les voleurs. A l’entrée des grands temples, dans deux niches de chaque côté de la porte, on ne manque jamais de rencontrer deux idoles debout, de contenance farouche; l’une, peinte en rouge, a la bouche ouverte et représente le principe mâle; l’autre, peinte en vert, ferme la bouche et représente le principe femelle, deux créations empruntées à la métaphysique chinoise. Cette figuration symbolique fait honneur, comme nous le faisait un jour remarquer un guide, à la retenue des dames du Céleste-Empire; c’est plutôt l’attitude inverse que le principe femelle devrait prendre au Japon. Les pèlerins qui viennent visiter les temples ont coutume de déposer leurs sandales de paille dans la niche de ces féroces gardiens et quelquefois même on en fait fabriquer, à leur intention, de dimensions colossales. Funadama est la protectrice des voyageurs et des marins; elle a son petit autel dressé dans chaque jonque. Kompira-sama est l’un des plus populaires parmi ces dieux et réunit sur sa tête plusieurs légendes d’origines diverses; sa statue est pourvue d’un nez colossal; le dixième jour de chaque mois, ses temples se remplissent de postulans et surtout de postulantes qui viennent lui demander des succès de différens genres, sous la promesse de s’abstenir de certaine nourriture pendant un temps donné. Son séjour est généralement gardé par un démon des plus terribles, Tengu-sama, qui, semblable