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dans les mesquins détails de la liturgie. Il suffit du reste d’assister à un office de la secte de Yodo, par exemple, pour comprendre l’attrait que la pompe extérieure du culte exerce sur l’imagination populaire. Au fond du temple s’élève la statue de Bouddha, assis dans la posture connue; à ses côtés les images des plus célèbres de ses apôtres; des cierges sont allumés, et les prêtres, revêtus de riches chasubles de soie brodées d’or, psalmodient des hymnes alternés, au son du gong. Leur chant monotone a je ne sais quelle tristesse mystérieuse qui berce l’âme comme dans un rêve; l’impression qu’on ressent rappelle un peu celle qu’exercent les cérémonies du culte catholique, avec lequel on retrouve à chaque instant des analogies frappantes. Le bouddhisme s’est jeté dans la voie opposée au shinto, et par besoin de réaction a exagéré son propre caractère; tandis que la religion indigène était trop nue, il s’est fait trop rituel et a noyé la piété dans les représentations théâtrales.

Cependant le clergé ne se borne pas à ces exhibitions grossières, et certaines sectes y joignent encore la prédication. Le sermon est généralement très populaire; destiné à de pauvres esprits, il cherche moins à être éloquent qu’à être intelligible, et dans ce dessein ne se fait pas faute d’exemples tirés soit des livres sacrés qui fournissent le texte du prône, soit de l’histoire ou du roman; souvent il est tout en paraboles. Le prédicateur est à peine monté en chaire, ou plutôt assis derrière son pupitre, qu’il entame une anecdote. « On ne doit jamais, dit par exemple l’un d’eux, oublier les relations sociales basées sur celles du ciel et de la terre, car les événemens les plus fâcheux pourraient en résulter; pour vous le montrer, je vais vous dire une amusante histoire. Il y avait une fois dans ce pays un jeune homme beau, bien fait et plein d’esprit; il n’avait qu’un seul défaut : c’était une détestable mémoire. Il était parvenu fort heureusement jusqu’à l’âge de dix-sept ans, quand son père voulut le marier. On trouva un parti à sa convenance, les formalités furent remplies, le jour des noces arriva et l’on procéda à la fête nuptiale. Le jeune mari et sa fiancée se réunirent avec leurs amis, les coupes circulèrent, et les mets furent vigoureusement attaqués au milieu de l’allégresse générale. L’époux donnait lui-même l’exemple et avala coup sur coup jusqu’à ce qu’il eût bu tout ce qu’il pouvait boire, après quoi les invités se retirèrent, et les deux jeunes gens restèrent seuls. Or remarquez ce qui résulta de son défaut de mémoire. En jetant les yeux autour de lui, il aperçut la jeune fille assise au milieu de la chambre et fut saisi d’étonnement. « Qui êtes-vous? dit-il. — Je suis votre femme, je pense! — Ma femme! Mais je ne me souviens pas d’avoir été marié; tout ce dont je me souviens, c’est que plusieurs de mes amis sont venus, que je leur ai offert un repas, et que j’ai bu pas mal. De grâce, pouvez-vous