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d’une manière si universelle dans l’Inde, en Chine, au Japon. On peut en donner pour raison la pauvreté des cultes qu’elle a remplacés; on sait d’ailleurs qu’une croyance attire cent fois plus de prosélytes par ses séductions qu’elle n’en décourage par ses terreurs. En ce qui concerne particulièrement le bouddhisme au Japon, il avait pour lui le mérite d’élever la dignité royale et de se trouver d’accord avec les traditions du pays et les visées de la cour. Sakya était de la classe des princes guerriers kshattriyas et, obligé de s’appuyer sur eux dans sa réaction contre les brahmines, avait exalté l’autorité temporelle, ce qui devait concilier à sa doctrine l’aristocratie territoriale du daïmio et même entraîner dans le mouvement général certains mikados oublieux de leur origine céleste et prêts à en faire bon marché. Enfin le budsdo, la « voie des idoles étrangères, » n’étant qu’un dogme métaphysique accompagné d’une règle morale, sans mythe défini, se prêtait à toutes les alliances avec les vieilles mythologies asiatiques, et c’est ainsi qu’il a pu s’introduire sans révolution à côté de la « voie des kami. » il faut pardessus tout tenir compte de ce penchant à l’imitation étrangère propre au tempérament japonais.

Aussi la diffusion fut-elle rapide : les temples érigés de toutes parts dans l’empire servaient en même temps d’écoles, et pendant le moyen âge japonais (600 à 1400) ce furent des foyers de lumière. Malheureusement le clergé voulut profiter de son influence spirituelle pour gouverner l’état, s’arroger des privilèges exorbitans, notamment le droit d’asile. Les couvens devinrent le refuge des condamnés, des disgraciés politiques, des mécontens et des vagabonds. Peu à peu le clergé même leur ouvrit ses rangs; ces recrues ne lui apportaient ni la science, ni les bons exemples, et son abaissement moral ne tarda pas à devenir profond pendant que sa puissance croissante excitait les ombrages des grands feudataires. A la fin, Nobunaga lui déclara une guerre acharnée et réussit à sa- per sa puissance politique (XVIe siècle); mais la religion subsista et continua d’offrir ses dignités aux empereurs qui abdiquaient. Les shogoun la protégèrent; le testament de Yéyas porte en plusieurs passages la marque de sa sollicitude pour la secte de Yodo, à laquelle il appartenait, et qu’il combla de bienfaits. A l’égard des autres sectes, il proclame la tolérance en conseillant la concorde; l’article 31 des Cent Lois porte : « Grands et petits pourront suivre leur propre inclination en ce qui concerne les dogmes religieux qui ont eu cours jusqu’ici, à l’exception de l’école fausse et corrompue (le catholicisme). Les disputes religieuses ont toujours amené la ruine et le malheur des empires; elles doivent dorénavant cesser.»

Le conseil n’était pas hors de saison, car le nombre des sectes s’était accru aussi vite que celui des prosélytes, comme il arrive