Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux vaines théories et au mensonge, comme ceux des autres pays, et eux seuls possèdent la vérité sur l’origine de l’univers. » Ce mouvement plus littéraire que politique ne laissa pas cependant d’ébranler l’autorité des shogoun, qui s’écroula définitivement en 1867 sous l’influence d’autres causes qu’on a vues ailleurs[1]. On peut comprendre quel prestige exerçait encore sur les esprits la vieille croyance nationale, quand on vit les soldats aguerris et nombreux du shogoun se débander devant l’oriflamme aux armes impériales. Les troupes coalisées, qui sans cela n’étaient que des rebelles, virent sous cette égide toutes les portes s’ouvrir devant elles.

Le gouvernement restauré se garda bien de négliger un si puissant moyen d’action. Toujours préoccupé de rétablir le culte des kami, au détriment du bouddhisme, il poursuit sans bruit et sans intolérance cette tâche difficile, tantôt grattant les peintures des temples bouddhistes pour leur donner l’apparence des mya, tantôt réinstallant en grande pompe les emblèmes shintoïstes à la place des idoles étrangères. Le 17 juillet 1873, une cérémonie de ce genre s’accomplissait au temple de Shiba, l’un des plus fréquentés d’Yeddo. Les statues avaient été retirées, et dans la salle vide, sur un autel, on avait placé le miroir et le gohei. De tous les points de la ville, la foule s’était réunie par groupes, bannières en tête, traînant divers trophées, entre autres un bateau sur roues richement décoré, et faisant retentir l’air de cris prolongés, musique sans doute la plus agréable aux dieux, car on ne la leur ménage pas; de chaque groupe se détachaient en arrivant des émissaires, qui allaient remettre aux prêtres réunis dans le temple les offrandes apportées par leur corporation. D’un côté de l’autel se tenaient les prêtres bouddhistes qui cédaient la place, de l’autre les prêtres du shinto, qui allaient la prendre. Dans la grande cour d’entrée, sur une estrade en plein air des danseurs revêtus de longues robes de cour exécutaient des danses sacrées au son des flûtes de Pan. Le lendemain, une proclamation annonçait que le temple venait d’être consacré aux dieux créateurs du Japon et particulièrement à Amatéras, déesse du soleil, aïeule de l’empereur, dont on rappelait les bienfaits journaliers, en conseillant de l’honorer et de lui adresser ainsi qu’aux trois autres kami la prière suivante : « O vous, grands dieux, ancêtres du ciel, protégez-nous jour et nuit et faites-nous vivre heureux ! Nous nous inclinons avec respect devant vous. » De ce jour, le temple changea d’habitans; mais les prêtres bouddhistes, qui avaient prêté la main à cette consécration, en eurent sans doute quelque remords, car un mois après le pétrole coula, si l’on en croit certaines

  1. Voyez la Revue du 15 juillet 1875.