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Quoi qu’il en soit, on devine plutôt qu’on ne distingue visiblement la retouche officielle et l’intervention théocratique dans la légende à côté du mythe spontané. Souvent au contraire celui-ci apparaît dans toute sa simplicité. La fable d’Amatéras, la déesse du soleil, cachée dans une caverne et laissant le monde en proie aux ténèbres, a un rapport direct avec le changement des saisons. D’autres, avec un sens moral très différent, reproduisent les procédés de l’imagination des peuples enfans. On songe à l’hésitation d’Hercule entre la vertu et la volupté, ou à la tradition biblique de la chute de l’homme en entendant l’aventure de Ninigi-no-mikoto. C’est le deuxième successeur divin d’Amatéras; en se promenant un jour aux environs de son palais, il rencontra une jeune fille d’une beauté merveilleuse qui lui dit s’appeler la Fleur éclose des arbres; il en tomba amoureux et demanda sa main à son père, le dieu des montagnes. Celui-ci avait une fille aînée appelée la Longue Roche, aussi laide que sa sœur était belle; il les envoya toutes deux au jeune dieu, qui ne manqua pas de choisir la plus jolie et de renvoyer l’autre à son père. Celui-ci lui dit alors : « Si je t’ai envoyé mes deux filles, c’est qu’en prenant l’aînée tu assurais aux dieux une vie éternelle, tandis qu’en prenant la cadette tu leur assurais une félicité sans bornes; mais, puisque tu as choisi la dernière la vie céleste sera désormais aussi fragile que les fleurs, et le ressentiment de la Longue-Roche en abrégera la durée. » La fille aînée symbolise par son nom même la longévité, prix d’une vie de devoir, tandis que la cadette représente l’ivresse fugitive du plaisir.

Considéré comme croyance populaire, le pur shinto se fondait sur le respect des ancêtres et d’un passé divin. De même que le mikado a pour aïeux les maîtres du ciel, les grands de sa cour font remonter leur généalogie jusqu’aux kami secondaires, dont ils ont conservé le titre, et le peuple tout entier se croit issu des dieux créateurs du Japon, de sorte que l’orgueil national et l’orgueil de famille, le respect des dieux et celui des maîtres se confondent à cette époque primitive en une seule et profonde vénération pour les puissances mystérieuses du ciel. Le mikado est plus que le pontife, c’est le représentant et l’héritier de la divinité, et comme tel c’est à lui qu’il appartient de célébrer le culte des dieux qui sont ses aïeux; c’est à lui, comme à un médiateur suprême, d’offrir au ciel les prières et les sacrifices de la terre qu’il gouverne. Dans les premiers âges, il n’y avait pas d’autre temple que le palais même du souverain, et, lorsque plus tard on en construisit de nouveaux, le vulgaire en était exclu ; le prince, émanation du ciel, avait seul charge d’âmes. Encore aujourd’hui, c’est un hommage que le souverain vient rendre à ses ancêtres lorsque chaque année, le 3 novembre, anniversaire de la mort de Sin-mu Tenno, il