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conservés dans cette même salle ancienne de l’Hôpital Saint-Jean, ni du Saint Christophe du musée de Bruges, pas plus que je ne vous ai parlé du portrait de la femme de Van-Eyck et de sa fameuse Tête de Christ exposée au même musée. Ce sont de beaux ou de curieux morceaux qui confirment l’idée qu’on doit se faire de la manière de voir de Van-Eyck, de la manière de sentir de Memling; mais les deux peintres, les deux caractères, les deux génies, sont révélés plus fortement qu’ailleurs dans leurs deux tableaux du Saint Donatien et de la Sainte Catherine. C’est sur le même terrain et dans la même acception qu’on peut les comparer, les opposer, et l’un par l’autre les mettre décidément en évidence.

Comment se sont formés leurs talens? quelle éducation supérieure a pu leur donner tant d’expérience? qui leur a dit de voir avec cette naïveté forte, cette attention émue, cette patience énergique, ce sentiment toujours égal dans un travail si appliqué et si lent? Sitôt formés l’un et l’autre, si vite et si parfaitement! La première renaissance italienne n’a rien de comparable. Et dans l’ordre particulier des sentimens exprimés, des sujets mis en scène, on convient que nulle école lombarde, ou toscane, ou vénitienne, n’a produit quoi que ce soit qui ressemble à ce premier jet de l’école de Bruges. La pratique elle-même est accomplie. La langue depuis s’est enrichie, s’est assouplie, s’est développée, bien entendu avant de se corrompre. Elle n’a jamais retrouvé ni cette concision expressive, ni cette propriété de moyens, ni cet éclat.

Considérez Van-Eyck et Memling par l’extérieur de leur art, c’est le même art qui, s’appliquant à des choses augustes, les rend avec ce qu’il y a de plus précieux. Riches tissus, perles et or, velours et soies, marbres et métaux ciselés, la main n’est occupée qu’à faire sentir le luxe et la beauté des matières, par le luxe et la beauté du travail. En cela, la peinture est encore bien près de ses origines, car elle entend lutter de ressources avec l’art des orfèvres, des graveurs et des émailleurs. On voit d’autre part à quelle distance elle en est déjà. Sous le rapport des procédés, il n’y a donc pas de différences très sensibles entre Memling et Jean Van-Eyck, qui le précéda de quarante ans. On se demanderait lequel a marché le plus vite et le plus loin. Et, si les dates ne nous apprenaient pas quel fut l’inventeur et quel fut le disciple, on s’imaginerait, à des sûretés de résultat plus grandes encore, que Van-Eyck a plutôt profité des leçons de Memling, C’est à les croire d’abord contemporains tant les compositions sont identiques, la méthode identique, les archaïsmes du même moment.

Les premières différences qui apparaissent dans leur pratique sont des différences de sang et tiennent à des nuances de tempérament