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en bleu pâle, en bleu, en rose et en lilas. Les Martyrs, pour la plupart des évêques, sont en manteaux bleus, et rien n’est plus exquis que l’effet de ces deux théories lointaines, fines, précises, toujours vivantes, se détachant par ces notes d’azur clair ou foncé sur l’austère tenture du bois sacré. Enfin une ligne de collines plus sombres, puis Jérusalem figurée par une silhouette de ville ou plutôt par des clochers d’églises, de hautes tours et des flèches, et pour extrême plan de lointaines montagnes bleues. Le ciel a la sérénité immaculée qui convient en un pareil moment. Pâle en bas, faiblement teinté d’outremer à son sommet, il a la blancheur nacrée, la netteté matinale et la poétique signification d’une belle aurore. Tel est traduit, c’est-à-dire trahi par un résumé glacial, le panneau central et la partie maîtresse de ce colossal triptyque. Vous en ai-je donné l’idée? Nullement; l’esprit peut s’y arrêter à l’infini, y rêver à l’infini, sans trouver le fond de ce qu’il exprime ou de ce qu’il évoque. L’œil de même peut s’y complaire sans épuiser l’extraordinaire richesse des jouissances qu’il cause ou des enseignemens qu’il nous donne. Le petit tableau des Mages de Bruxelles n’est plus qu’un délicieux amusement de bijoutier à côté de cette concentration puissante de l’âme et des dons manuels d’un vrai grand homme.

Reste, quand on a vu cela, à considérer attentivement la Vierge et le Saint Donatien du musée de Bruges. Ce tableau, dont la reproduction se trouve au musée d’Anvers, est le plus important qu’ait signé Van-Eyck, au moins quant à la dimension des figures. Il est de 1436, par conséquent postérieur de quatre ans à l’Agneau mystique. Par la mise en scène, le style et le caractère de la forme, de la couleur et du travail, il rappelle la Vierge au donateur, que nous avons au Louvre. Il n’est pas plus précieux dans le fini, pas plus finement observé dans le détail. Le clair-obscur ingénu qui baigne la petite composition du Louvre, cette vérité parfaite et cette idéalisation de toutes choses obtenue par le soin de la main, la beauté du travail, la transparence inimitable de la matière; ce mélange d’observation méticuleuse et de rêveries poursuivies à travers des demi-teintes, — ce sont là des qualités supérieures que le tableau de Bruges atteint et ne dépasse pas. Mais ici tout est plus large, plus mûr, plus grandement conçu, construit et peint. Et l’œuvre en devient plus magistrale, en ce qu’elle entre en plein dans les visées de l’art moderne et qu’elle est sur le point de les satisfaire toutes.

La Vierge est laide. L’enfant, un nourrisson rachitique à cheveux rares, copié sans altération sur un pauvre petit modèle mal nourri, porte un bouquet de fleurs et caresse un perroquet. A droite de la Vierge, saint Donatien, mitré d’or, en chape bleue; à gauche et