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demi-quart de lieue de là. Pour éviter un détour au jeune garçon qui venait prendre les leçons du vicaire, on lui avait donné la clé de cette porte de derrière. La pauvre obsédée s’empara de cette clé pendant la messe de minuit et entra dans la cure. La servante du vicaire, pour pouvoir assister à la messe, avait mis le couvert d’avance. Notre folle enleva rapidement tout le linge et le cacha dans le manoir.

« Au sortir de la messe, le vol se révéla sur-le-champ. L’émoi fut extrême. On s’étonna tout d’abord que le linge seul eût disparu. Le vicaire ne voulut pas renvoyer ses hôtes sans collation. Au moment du plus vif embarras, la fille apparaît : « Ah ! pour cette fois, vous accepterez nos services, monsieur le curé. Dans un quart d’heure, notre linge va être porté chez vous. » Le vieux Kermelle se joignit à elle, et le vicaire laissa faire, ne se doutant pas naturellement d’un pareil raffinement de supercherie chez une créature à laquelle on n’accordait que l’esprit le plus borné.

« Le lendemain on réfléchit à ce vol singulier. Il n’y avait nulle trace d’effraction. La principale porte du presbytère et celle au fond du jardin étaient intactes, fermées comme elles devaient l’être. Quant à l’idée que la clé confiée à Kermelle eût pu servir à l’exécution du vol, une pareille idée eût semblé folle ; elle ne vint à personne. Restait la porte de la sacristie ; il parut évident que le vol n’avait pu se faire que par là, Le sacristain avait été vu dans l’église tout le temps de l’office. La sacristine au contraire avait fait des absences ; elle avait été à l’âtre du presbytère chercher des charbons pour les encensoirs ; elle avait vaqué à deux ou trois autres petits soins ; le soupçon se porta donc sur elle. C’était une excellente femme, sa culpabilité paraissait souverainement invraisemblable ; mais que faire contre des coïncidences accablantes ? On ne sortait pas de ce raisonnement : « le voleur est entré par la porte de la sacristie ; or la sacristine seule a pu passer par cette porte, et il est prouvé qu’elle y a passé en réalité ; elle-même l’avoue. « On cédait trop alors à l’idée qu’il était bon que tout crime fût suivi d’une arrestation. Cela donnait une haute idée de la sagacité extraordinaire de la justice, de la promptitude de son coup d’œil, de la sûreté avec laquelle elle saisissait la piste d’un crime. On emmena l’innocente femme à pied entre les gendarmes. L’effet de la gendarmerie, quand elle arrivait dans un village, avec ses armes luisantes et ses belles buffleteries, était immense. Tout le monde pleurait ; la sacristine seule restait calme et disait à tous qu’elle était certaine que son innocence éclaterait.

« Effectivement, dès le lendemain ou le surlendemain, on reconnut l’impossibilité de la supposition qu’on avait faite. Le troisième jour,