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REVUE DRAMATIQUE.

meurtrier de son mari ? L’Amérique intervient pour trancher la difficulté. Bien que M. Clarkson n’ait pas beaucoup à se louer de sa femme, bien qu’elle ait eu à son égard d’assez vilains procédés, bien qu’il ait demandé et obtenu son divorce, il lui est resté fort attaché ou, pour mieux dire, il en est éperdûment amoureux. Il fait dans le far-west de superbes affaires et il la met de part dans ses bénéfices. Il a pris ses jambes à son cou pour venir passer vingt-quatre heures avec elle, lui rendre ses comptes, lui servir ses dividendes et lui donner un baiser sur le front. Par une inspiration assez étrange, c’est à lui que s’adresse le duc de Septmonts pour qu’il lui serve de témoin dans son duel avec Gérard. Clarkson se présente chez le duc, et nous devons lui en savoir gré ; son arrivée donne lieu à une scène admirablement conduite, vivement menée, qui prouve combien M. Dumas excelle dans la science de l’effet dramatique. Clarkson consent à servir de témoin au duc de Septmonts ; mais au cours de leur entretien le duc a le tort de se découvrir un peu trop : il initie son homme, sans le vouloir, aux turpitudes de sa vie et de ses pensées. Le Yankee le laisse aller, l’écoute bénévolement, sans paraître songer à mal, et tout à coup le regardant entre les deux yeux, il lui déclare que le duc de Septmonts est un drôle et que ce qui l’étonne, c’est que le duc de Septmonts n’a pas l’air de s’en douter. Le duc bondit sous l’outrage, il se battra avec Clarkson aussitôt qu’il aura vidé sa querelle avec Gérard. Clarkson n’aime pas à attendre, il veut en découdre sur-le-champ ; il entraîne le duc dans un terrain vague attenant à l’hôtel, et il le tue raide « comme un petit lapin. » Le vibrion n’est plus, la duchesse est libre d’épouser Gérard.

Comme on voit, ce n’est pas une petite affaire que de venir à bout d’un vibrion ; cela demande bien des cérémonies et beaucoup d’heureux hasards. N’est-ce pas un hasard étrange qu’il y ait des vierges du mal, et que ces vierges, lorsqu’elles sont amoureuses de Gérard, le dénoncent aux vengeances d’un mari jaloux qu’elles connaissent pour un tireur de première force ? N’est-il pas singulier que les Clarkson adorent et respectent infiniment une femme qui leur a volé 20,000 dollars ? N’est-il pas bizarre qu’humbles servans d’une drôlesse, ils ne laissent pas d’être dans l’occasion les chevaliers de la vertu et qu’ils ne puissent entendre les confessions d’un duc de Septmonts sans éprouver le besoin de lui brûler la cervelle ? N’est-il pas étonnant encore que les drôlesses reconnaissent la volonté du ciel dans un événement qui trompe leur vengeance, qu’elles prennent si facilement leur parti de renoncer à l’homme qu’elles aiment, et repartent de leur pied gaillard pour l’Amérique, en s’écriant : « Quand je sens que Dieu est contre moi, je ne lutte pas avec Dieu ? » Toutes ces circonstances ont un caractère miraculeux, et l’auteur de l’Ètrangère est le premier à en convenir : « Le duc, nous avait-il dit par la bouche du docteur Rémonin, disparaîtra au moment précis où