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d’autrefois, mais on oserait presque dire qu’elles ne s’adressent plus aux mêmes facultés. Dans mon enfance, elles avaient essentiellement un caractère Imaginatif, et s’adressaient uniquement à l’imagination. Tout y était pour la pompe, le décor, le spectacle, tout y parlait un langage pittoresque et figuré. Je les vois encore se dérouler, en tête les enfans-trouvés de l’hôpital vêtus d’un triste costume de laine grise et portant à la main des cierges allumés, tout semblables à de pauvres petites âmes du purgatoire menées en troupe aux exercices de la pénitence réparatrice, puis les innombrables compagnies de pénitens, blancs, bleus, rouges, gris, noirs, feuille-morte, psalmodiant d’une voix lugubre et presque effrayante sous leurs cagoules percées de deux trous à hauteur des yeux; puis les enfans et les adolescens travestis en personnages de la Passion, puis les haltes sans fin aux innombrables reposoirs, blanches et fragiles architectures de mousseline et de tulle, de fleurs et de mousse, tout cela traversant des rues où il n’était si pauvre maison qui n’eût sorti sa plus belle paire de draps pour masquer son humble façade. Dirai-je maintenant l’effet que ces cérémonies m’ont produit tant à Clermont qu’au Puy en Velay, où j’ai vu la procession de la Fête-Dieu, c’est-à-dire la procession par excellence dans toutes les contrées catholiques? Eh bien ! elles ont pris un caractère, pour ainsi dire, positif, utilitaire, bien d’accord avec ce temps de fêtes industrielles. Ce que le cortège recommandait au souvenir du spectateur à mesure qu’il se déroulait, c’étaient les œuvres pieuses de la religion, ses fondations de charité et d’éducation, son action sociale pratique, son industrie divine sur les âmes et les corps; tout le côté Imaginatif a disparu. Plus de pénitens : à Clermont, ils se sont éteints; au Puy en Velay, une seule compagnie de pénitens blancs réduite à quelques membres, sales, sans art du costume, le capuchon niaisement rejeté sur les épaules; plus de représentations des personnages sacrés, plus de rues tapissées, à peine un reposoir. Autrefois la place qu’occupaient les frères de la doctrine chrétienne était bien modeste, et personne ne songeait à les remarquer; aujourd’hui ils composent vraiment la pièce importante du cortège. Les voici qui s’avancent en phalange carrée en tête de leurs élèves, sonnant à pleins poumons dans des instrumens en cuivre un morceau de musique répété avec soin ; plus loin les élèves des pensionnats de religieuses chantent en chœur des cantiques sous la direction de leurs maîtresses : on dirait les scènes que présentent les concours d’orphéons. Puis viennent les œuvres de charité et les confréries de bienfaisance que le catholicisme mène à sa suite, sans insignes, sans symboles, sans costumes presque. Au Puy, je vois une longue file d’enfans vêtus de tuniques en drap vert qui marchent