peinture qui tient à ses secrets est mal placée si vous la forcez à des aveux.
Vous n’ignorez pas que la Ronde de nuit passe à tort ou à raison pour une œuvre à peu près incompréhensible, et c’est là un de ses grands prestiges. Peut-être aurait-elle fait beaucoup moins de bruit dans le monde, si depuis deux siècles on n’avait conservé l’habitude d’en chercher le sens au lieu d’en examiner les mérites, et persisté dans la manie de la considérer comme un tableau par dessus tout énigmatique. A le prendre au pied de la lettre, ce que nous savons du sujet me paraît suffire. D’abord nous savons quels sont les noms et la qualité des personnages, grâce au soin que le peintre a pris de les inscrire sur un cartouche, au fond du tableau, et ceci prouve que, si la fantaisie du peintre a transfiguré bien des choses, la donnée première appartenait du moins aux habitudes de la vie locale. Nous ignorons, il est vrai, dans quel dessein ces gens sortent en armes, s’ils vont au tir, à la parade ou ailleurs; mais, comme il n’y a pas là matière à de profonds mystères, je me persuade que, si Rembrandt a négligé d’être plus explicite, c’est qu’il n’a pas voulu ou qu’il n’a pas su l’être, et voilà toute une série d’hypothèses qui s’expliqueraient très simplement par quelque chose comme une impuissance ou des réticences volontaires. Quant à la question d’heure, la plus controversée de toutes et la seule aussi qui pouvait être résolue dès le premier jour, on n’avait pas besoin pour la fixer de découvrir que la main tendue du capitaine portait son ombre sur un pan d’habit. Il suffisait de se rappeler que jamais Rembrandt n’a traité la lumière autrement, que l’obscurité nocturne est son habitude, que l’ombre est la forme ordinaire de sa poétique, son moyen d’expression dramatique usuel, et que, dans ses portraits, dans ses intérieurs, dans ses légendes, dans ses anecdotes, dans ses paysages, dans ses eaux-fortes comme dans sa peinture, communément c’est avec la nuit qu’il a fait du jour.
Peut-être en raisonnant ainsi par analogie, et au moyen de quelques inductions de pur bon sens, arriverait-on à lever quelques doutes encore, et ne resterait-il au bout du compte, comme obscurités irrémédiables, que les embarras d’un esprit en peine devant l’impossible, et les à-peu-près d’un sujet mêlé, comme cela devait être, de réalités insuffisantes et de fantaisies peu motivées.
Je ferai donc ce que je voudrais qu’on eût fait depuis longtemps : un peu plus de critique et moins d’exégèse. J’abandonnerai les énigmes du sujet pour aborder avec le soin qu’elle exige une œuvre peinte par un homme qui s’est rarement trompé. Du moment que cette œuvre nous est donnée comme la plus haute expression de son génie et comme la plus parfaite expression de sa manière, il y