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de l’hôpital Sainte-Elisabeth. Dans son acception forte et simple, avec ses têtes en lumière, ses habits de couleur noire, la qualité des chairs, la qualité des draps, son relief et son sérieux, sa richesse dans des tons si sobres, ce tableau magnifique représente Hals tout autrement, non pas mieux. Les têtes, aussi belles que possible, ont d’autant plus de prix que rien autour ne lutte avec l’intérêt capital des morceaux vivans. Est-ce à cet exemple de sobriété rare, à cette absence de coloris, jointe à la science accomplie du coloriste, que se rattachent plus particulièrement les néo-coloristes dont je parle? Je n’en vois pas encore la preuve bien évidente; mais si tel était, comme on aime à le dire, le très noble objectif de leurs recherches, quels tourmens ne devraient pas causer à des hommes d’études les scrupules profonds, le savant dessin, la conscience édifiante, qui font la force et la beauté de ce tableau !

Loin de rappeler des tentatives un peu vaines, ce magistral tableau fait au contraire penser à des chefs-d’œuvre. Le premier souvenir qu’il éveille est celui des Syndics. La scène est la même, la donnée pareille, les conditions à remplir sont exactement semblables. Une figure centrale, belle entre toutes celles que Hals a peintes, appellerait des comparaisons frappantes. Les relations des deux œuvres sautent aux yeux. Avec elles apparaît la différence des deux peintres : point de vue contraire, opposition des deux natures, force égale dans la pratique, supériorité de la main chez Hals, de l’esprit chez Rembrandt, — résultat contraire. Si, dans la salle du musée d’Amsterdam où figurent les Drapiers, on remplaçait Van der Helst par Frans Hals, les Arquebusiers par les Régens, quelle leçon décisive et que de malentendus évités ! Il y aurait une étude spéciale à faire sur ces deux toiles de Régens. Il faudrait se garder d’y voir toutes les qualités multiples de Hals, ni toutes les facultés plus multiples encore de Rembrandt; mais sur un thème commun, à peu près comme dans un concours, on assisterait à une épreuve des deux praticiens. Tout de suite on verrait où chacun d’eux excelle et faiblit, et l’on saurait pourquoi. On apprendrait sans nulle hésitation qu’il y a mille choses encore à découvrir sous la pratique extérieure de Rembrandt, qu’il n’y a pas grand’chose à deviner derrière la belle pratique extérieure du peintre de Harlem. Je suis très surpris qu’on ne se soit pas servi de ce texte pour dire une fois la vérité sur ce point.

Enfin Hals est vieux, très vieux : il a quatre-vingts ans. Nous sommes en 1664. Cette même année, il signe les deux dernières toiles de la série, les dernières auxquelles il ait mis la main : les Portraits de Régens et les portraits de Régentes de l’hôpital des Vieillards. Le sujet coïncidait avec son âge. La main n’y est plus.