Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’impertinence, quand il gouaille et se moque un peu de nous. Peinture et geste, pratique et physionomie, tout dans ce portrait par trop sans façon est à l’avenant. Hals nous rit au nez, la femme de ce gai farceur en fait autant, et la peinture, tout habile qu’elle est, n’est pas beaucoup plus sérieuse.

Tel est, à le juger par ses côtés légers, le peintre fameux dont la renommée fut grande en Hollande pendant la première moitié du XVIIe siècle. Aujourd’hui le nom de Hals reparaît dans notre école au moment où l’amour du naturel y rentre lui-même avec quelque bruit et non moins d’excès. Sa méthode sert de programme à certaines doctrines en vertu desquelles l’exactitude la plus terre-à-terre est prise à tort pour la vérité, et la plus parfaite insouciance pratique pour le dernier mot du savoir et du goût. En invoquant son témoignage à l’appui d’une thèse à laquelle il n’a jamais donné que des démentis par ses belles œuvres, on se trompe, et par cela même on lui fait injure. Parmi tant de qualités si hautes, ne verrait-on par hasard et ne préconiserait-on que ses défauts? J’en ai peur, et je vous dirai ce qui me le fait craindre. Ce serait, je vous en donne l’assurance, une erreur nouvelle et une injustice.

Dans la grande salle de l’académie de Harlem, qui contient beaucoup de pages analogues aux siennes, mais où il vous oblige à ne regarder que lui, Frans Hals a huit grandes toiles dont la dimension varie entre 2 mètres 1/2 et 4 mètres passés. Ce sont d’abord des Repas ou Réunions d’officiers du corps des archers de Saint-George, du corps des archers de Saint-Adrien, — ensuite et plus tard des Régens ou régentes d’hôpital. Les figures y sont de taille naturelle et en grand nombre; c’est fort imposant. Les tableaux appartiennent à tous les momens de sa vie, et la série embrasse sa longue carrière. Le premier, de 1616, nous le montre à trente-deux ans; le dernier, peint en 1664, nous le montre deux années seulement avant sa mort, à l’âge extrême de quatre-vingts ans. On le prend pour ainsi dire à ses débuts, on le voit grandir et tâtonner. Son épanouissement se produit tard, vers le milieu de sa vie, même un peu au-delà; il se fortifie et se développe en pleine vieillesse; enfin on assiste à son déclin, et l’on est tout surpris de voir en quelle possession de lui-même ce maître infatigable était encore, quand la main lui manqua d’abord, la vie ensuite.

Il y a peu de peintres, s’il en existe, sur lesquels on possède un ensemble d’informations plus heureusement échelonnées et plus précises. Embrasser d’un coup d’œil cinquante années d’un travail d’artiste, assister à ses recherches, le saisir en ses réussites, le juger d’après lui-même dans ce qu’il a fait de plus important et de meilleur, c’est un spectacle qui nous est rarement donné. De