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aux notes de Stockmar, des faits jusqu’ici restés dans l’ombre apparaissent désormais en pleine lumière. La vérité, c’est que l’article du Courrier dénonçait principalement deux choses dans la conduite de Capodistrias, ses violences envers les Mavromichalis, sa fourberie à l’égard du prince Léopold. L’opinion en Angleterre avait fini par découvrir le mot de l’énigme. On n’était plus dupe de la comédie, on ne disait plus, comme le prince de Liéven, comme lord Aberdeen, comme le baron de Stein, comme les rédacteurs de la Revue de France, que le prince Léopold avait manqué de courage, on disait qu’il avait été induit en erreur par la noblesse même de son âme et mené en laisse par le plus roué des diplomates. Tel était le fond de l’article du Courrier. Démasqué dans ses fourberies et attaqué dans ses violences, Capodistrias eut un accès de fureur qui lui fit perdre la tête ; il se vengea sur Pétrobey, qui à son tour suscita ses vengeurs. Voilà comment le prince Léopold, sans le vouloir, sans le savoir, fit sortir de dessous les feuilles de myrte le glaive d’Harmodius et d’Aristogiton.

Plus tard, lorsque le prince Léopold, fondateur d’une autre royauté à l’occident de l’Europe, eut donné tant de preuves d’une sagesse toute royale, on a souvent regretté qu’un tel pilote ait manqué à la Grèce. L’historien allemand Gervinus, qui rappelle ces regrets, ne les partage en aucune façon. Il ne croit pas qu’il y ait lieu d’accuser ici la fortune. Le prince Léopold, à son avis, n’était pas l’homme de ce rôle. Il ne possédait ni les dons physiques, ni les dons moraux que réclamait la royauté des Hellènes. Pour régénérer ces hommes à demi sauvages, il eût fallu vivre de leur vie, supporter leurs souffrances, se plier à leurs privations, lutter avec eux contre une écrasante misère. Quelle vigueur et quelle souplesse de corps, quelle robuste élasticité supposait une pareille tâche ! Il y fallait aussi une âme héroïquement trempée. Ce roi nouveau aurait dû renoncer aux vains appareils du trône, et, au lieu d’une royauté de cour et de salon, fonder une sorte de souveraineté primitive, jusqu’au jour où le peuple et le prince eussent grandi ensemble. Préparé d’ailleurs à tous les échecs, à toutes les ingratitudes, à toutes les calomnies, il aurait dû se raidir d’avance contre mille causes de découragement. Résolu à vaincre autant que résigné à souffrir, nulle expérience, si amère qu’elle fût, nul désappointement, si cruel qu’on l’imagine, ne l’eussent dispensé jamais de nouveaux efforts et de nouveaux sacrifices. « On peut, dit Gervinus, rendre tout honneur au caractère du prince Léopold sans trouver qu’il fût un homme de cette trempe. S’il l’eût été, rien n’eût ébranlé sa résolution première, et les difficultés de la tâche, bien loin de l’effrayer, n’eussent fait que stimuler son courage. »

Il se peut que M. Gervinus ait raison ; le type de ce souverain