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octobre 1831. Constantin et George Mavromichalis avaient aperçu le président qui se rendait à l’église Saint-Spiridion ; ils avaient hâté le pas pour le devancer, l’avaient salué en passant et s’étaient placés sous le porche, tout près du seuil. Était-ce une marque de déférence ? voulaient-ils le saluer encore au passage ? ou bien cette attitude cachait-elle une intention hostile ? Capodistrias hésita un instant ; puis, rassuré sans doute par la présence des deux gardes attachés à la surveillance des deux suspects, il s’avança vers le portail. Il ignorait que ces gardes étaient devenus leurs complices. Dès qu’il atteignit le seuil, deux coups de feu retentirent derrière lui. C’étaient Constantin et son garde Karayannis qui venaient de tirer ; le garde avait manqué son coup, mais Constantin avait frappé à la tête l’ennemi des Mavromichalis, tandis que George lui avait planté son poignard dans la poitrine.

Ce meurtre, même dans un monde encore barbare et malgré tant de provocations, était un acte odieux. Les criminels ne tardèrent pas à l’expier. Constantin fut écharpé immédiatement par la populace ; George, condamné à mort par un conseil de guerre, tomba fusillé sous les fenêtres de la prison de son père. Cependant, sur plusieurs points du territoire et dans les classes supérieures de la société hellénique, la vengeance des Mavromichalis excita moins d’horreur que de sympathie. Partout où vivaient les fiers souvenirs de la guerre nationale ou les souvenirs exaltés de la Grèce antique, Constantin et George étaient glorifiés. À Égine, les étudians entonnèrent le vieux chant d’Harmodius et d’Aristogiton : « Je porterai le glaive sous les branches de myrtes ! » À Missolonghi, les veuves, quittant les vêtemens de deuil, se rendirent en robes blanches à l’église pour remercier Dieu de la délivrance de la patrie.

Qu’était-ce donc que ce journal de Londres arrivé à Nauplie le 8 octobre 1831 ? Et comment pouvait-il contenir le germe de ces tragédies ? Un de nos collaborateurs, M. A. de Gobineau, qui l’un des premiers a raconté ici même les événemens que nous venons de rappeler, dit simplement à ce sujet que l’article du Courrier s’exprimait avec véhémence sur l’administration de Capodistrias. Dans l’étude si impartiale et si complète à sa date[1] qu’il a consacrée au président, M. de Gobineau ne pouvait être frappé de certains rapprochemens comme nous le sommes aujourd’hui. Grâce

  1. Voyez, dans la Revue du 15 avril 1841, le travail de M. A. de Gobineau, intitulé Capodistrias. Notre collaborateur, aujourd’hui ministre de France en Suède, avait habité l’Europe orientale et la connaissait parfaitement. Son étude sur le comte Capodistrias a pour base la correspondance même du comte et une biographie tracée par un de ses partisans ; en nous servant de cette étude pour le sujet particulier qui nous occupe, nous n’avons eu qu’à la compléter çà et là au moyen des documens nouveaux ; mis en œuvre par Gervinus.