Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

octobre 1831, frappé à mort par le frère et le fils de l’un des vieux héros de l’indépendance, Constantin et George Mavromichalis ; ce qu’on savait moins bien jusqu’à présent, et ce qui nous apparaît aujourd’hui en toute lumière, c’est le rapport étroit qui rattache cette scène sanglante à la renonciation du prince Léopold.

Dès le jour où cette renonciation est connue, une profonde douleur se manifeste dans toute la Grèce. Si le protocole du 3 février ne répondait pas aux désirs de la nation et laissait bien des intérêts en souffrance, du moins le gouvernement du prince encourageait des espérances qui étaient déjà une consolation. Placé au-dessus des partis, il rendait justice à chacun. On ne verrait plus régner la faveur et l’iniquité. Il y aurait des lois justes, des tribunaux intègres, une constitution régulière. La Grèce ne serait plus la proie de l’ambitieux dont on commençait à soupçonner les plans et à démasquer les intrigues. D’ailleurs ce que le prince Léopold n’avait pas encore obtenu, il l’obtiendrait sans doute plus tard. Nul mieux que lui n’était en mesure de persuader peu à peu les puissances, nul ne saurait mieux les rassurer toutes les trois, en ne se livrant à aucune. La Russie, qui avait apprécié en 1813 le compagnon d’armes du grand-duc Constantin, ne le considérerait jamais comme inféodé à l’Angleterre ; l’Angleterre, qui l’avait connu à Claremont, ne soupçonnerait jamais que l’époux de la princesse Charlotte pût subir l’ascendant de la Russie. Que de convenances politiques dans le choix du prince ! Que de hautes assurances morales ! Et tout cela s’écroulait, tout cela s’évanouissait ; de l’édifice laborieusement construit il ne restait plus qu’un souvenir. Telles étaient les plaintes de la Grèce. D’où venait donc qu’au mois de mars ou d’avril un langage tout opposé avait retenti dans les conseils populaires, et que ce langage, parvenu aux oreilles du prince Léopold, avait déterminé sa retraite ? Pure tactique du comte Capodistrias. Il excellait à faire parler les populations, il excellait aussi à leur faire garder le silence. Rassembler et grossir les témoignages de mécontentement, c’est la première opération ; supprimer les autres, c’est la seconde. Rien de plus simple. C’est de la police primitive. L’état général de la Grèce, la barbarie dont on sortait, les rivalités des tribus, les jalousies, les fureurs, les haines, tous les élémens de guerre civile, qui maintenaient un perpétuel désordre, permettaient de pêcher en eau trouble. La main adroite du président prenait et laissait selon l’occurrence ce qui convenait à ses desseins. Le prince Léopold ne sut donc que plusieurs mois plus tard combien sa renonciation avait affligé la Grèce.

Cette affliction était d’autant plus sincère qu’elle était inspirée par un sentiment de salut public. Après le refus du prince Léopold,