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ruines et des souvenirs pénibles. Ils se figurent relever Paris en le flattant dans ses crédulités fanatiques, en l’appelant encore la cité sainte, la Jérusalem révolutionnaire, et à la tête de la bande M. Victor Hugo, la lyre en main, découvre qu’en ôtant à Paris son diadème de capitale on n’a fait que mettre à nu son large et puissant cerveau qui rayonne sur l’univers ! M. Hugo ne s’aperçoit pas qu’en se couvrant lui-même de ridicule il livre aux railleries du monde une ville qui mérite plus d’égards. Ce n’est pas tout. Voici une cité puissante qui renferme en elle la science, les lumières, l’Institut, les plus grandes industries, la direction des plus grandes affaires ; — et par qui allez-vous la faire représenter, cette cité souveraine ? M. Louis Blanc a sa célébrité, nous n’en disconvenons pas, il a la célébrité du sophiste, du déclamateur, de l’homme du 15 mai 1848 ; puis on a M. Floquet, M. Clemenceau ! A qui fera-t-on croire que c’est la vraie représentation de la grande ville ? Est-ce des réunions électorales d’aujourd’hui que jaillit la lumière qui rayonne sur le monde ? Soyez de bon compte, s’il n’y avait rien de mieux, ce serait assez humiliant, et la province aurait le droit de dire à Paris : nous vous envoyons sans cesse tout ce que nous avons d’hommes intelligens et supérieurs que vous retenez, que vous absorbez, et voilà tout ce que vous savez trouver parmi eux ! Autrefois vous vous faisiez honneur de nommer les sommités libérales ; aujourd’hui Casimir Perier s’appelle M. Barodet, et Benjamin Constant s’appelle M. Germain Casse ! On aura beau voir dans ces choix des merveilles de progrès, la fleur des « nouvelles couches sociales, » on n’effacera pas ce qu’il y a de puéril et de pénible pour la fierté d’une grande population : dans cette invasion de la médiocrité révolutionnaire, et en infligeant à Paris cette épreuve les radicaux compromettent bien plus encore peut-être la république elle-même.

Certes, s’il y a un fait sensible, c’est que depuis quelques années la république, en vivant, a commencé de s’acclimater. Elle s’est maintenue en partie sans doute par la force des choses, par l’impuissance de toutes les combinaisons monarchiques ; elle s’est accréditée aussi parce que, rompant avec des traditions de violence, avec des souvenirs sinistres qui ont rendu si longtemps son nom odieux, elle est apparue comme un système de gouvernement possible, capable de se contenir, de se régler, de protéger la paix intérieure et la paix extérieure. De plus c’est par cette modération même, c’est par des transactions incessantes qu’ont pu se former entre diverses fractions parlementaires des alliances qui ont fini par avoir pour résultat l’organisation du 25 février 1875, un ensemble d’institutions sages, suffisamment conservatrices sans cesser d’être libérales. Eh bien ! il faut parler, non comme d’imbéciles démagogues, mais comme des hommes qui voient la réalité. Est-ce qu’on croit que la république en serait aujourd’hui là où elle est arrivée avec