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aucune atteinte, supposez-la survivant à son père et donnant le jour à une royale lignée ; elle serait devenue reine en 1830, et le prince Léopold aurait rempli auprès d’elle le rôle que son neveu, le prince Albert, a rempli dix ans plus tard auprès de la reine Victoria. Le duc de Clarence, troisième fils de George III, ne serait pas devenu roi d’Angleterre sous le nom de Guillaume IV après la mort de son frère George IV ; il serait devenu roi de Hanovre en 1830, comme le duc de Cumberland l’est devenu en 1837. On sait que le Hanovre était un fief masculin de la maison de Brunswick ; uni à l’empire britannique aussi longtemps que l’Angleterre serait gouvernée par un roi de cette maison, ce fief devait former une royauté distincte au profit de l’héritier le plus proche le jour où une princesse monterait sur le trône. C’est donc le duc de Clarence, frère de George IV, qui serait devenu roi de Hanovre en 1830 à l’avènement de la reine Charlotte, comme le duc de Cumberland l’est devenu en 1837 à l’avènement de la reine Victoria. Enfin la reine Victoria non plus n’aurait pas régné sur la nation anglaise. Bien plus, il est probable qu’elle n’eût jamais vu le jour. Le duc de Kent n’était pas marié en 1817, quoiqu’il eût alors cinquante ans sonnés, et il ne songeait point à prendre femme ; il ne s’y décida qu’après la mort de sa nièce et précisément à l’occasion de cette mort. C’est de ce mariage qu’est née en 1819 la jeune princesse qui a remplacé la princesse Charlotte dans le cœur des Anglais.

Est-ce tout ? Pas encore. Il y a une autre conséquence, et non certes la moins inattendue, que l’on ne peut se dispenser de signaler en terminant.. Si la princesse Charlotte eût vécu, un des plus grands scandales de nos jours eût été sans nul doute épargné à l’Angleterre. La majesté royale dans un pays où ce mot a conservé toute sa force n’eût pas été soumise au parlement par un bill d’attainder. On voit que nous parlons de la princesse de Galles. Que devient-elle, l’étrange et malheureuse créature, pendant que sa fille meurt à Claremont ? Elle voyage, elle parcourt l’Italie, attendant l’heure de recommencer la lutte contre son mari. Cette heure n’eût jamais sonné, si le prince Léopold et la princesse Charlotte eussent été là pour arrêter de part et d’autre ce duel abominable ; elle morte, la situation change, et toutes les fureurs se déchaînent. L’histoire avait besoin de cette lumière pour apprécier plus exactement le procès de la reine Caroline. Ce sera l’objet d’une prochaine étude.


SAINT-RENE TAILLANDIER.