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Faut-il faire remarquer que chaque fois qu’un ban nouveau d’immigrans est arrivé, il a provoqué dans le pays une recrudescence de travail ? L’ancien habitant, qu’une catastrophe a plongé dans la ruine, reste comme anéanti sous le coup qui l’a frappé. Il ne dispute pas à la végétation sauvage le champ qu’elle envahit ; il ne relève pas les quartiers déserts d’une ville : il reste cent ans, à Magdebourg ou à Breslau, sans balayer les décombres d’un incendie ; mais le colon, qui de très loin est venu tout exprès pour labourer un champ ou pour bâtir une maison, arrache l’ivraie et déblaie les ruines : le plus nonchalant des désœuvrés d’Europe, transporté sur un terrain qu’on lui concède en Amérique ou en Algérie, ne sent-il pas en lui un réveil d’énergie ? C’est en partie par l’exemple de ces étrangers que la population prussienne fut entretenue dans cette perpétuelle ardeur au travail qui a permis aux sujets de tirer d’un pays pauvre des produits inespérés, aux rois d’entretenir des forces militaires hors de proportion avec le nombre de leurs sujets, et de tenir tête, comme a fait Frédéric, aux premières puissances du monde coalisées contre lui.

M. Belleim-Schwarzbach a donc écrit un chapitre important de l’histoire de Prusse dans son livre les Colonisations des Hohenzollern. Nous avons loué déjà le soin et l’impartialité qu’il a mis dans ce travail ; il y a pourtant des réserves à faire sur une opinion exprimée par lui dans la préface. Il est vrai que la Prusse a reculé vers l’Orient les frontières d’Allemagne de l’Elbe à la Vistule, et qu’on ne saurait apprécier avec justice sa fortune présente, si l’on ne compare à l’histoire de ses princes celle des princes du centre et de l’ouest de l’Allemagne, gens naïvement égoïstes et superbes, considérant l’état comme un instrument tout exprès inventé pour leur commodité personnelle. Le potentat allemand qui vendait ses sujets au roi George d’Angleterre pour être expédiés comme chair à canon en Amérique, où commençait la guerre d’indépendance, fait un contraste fort instructif avec son contemporain Frédéric II, qui achetait des sujets, pour ainsi dire, en distribuant aux colons de l’argent et des terres. Mais pourquoi donner à entendre que les créateurs de la Prusse aient jamais songé à travailler pour la gloire et le profit de l’Allemagne ? Rome, qui fut jadis en Italie, comme la Prusse en Allemagne, une terre d’asile ; qui prit ses citoyens d’abord parmi les tribus voisines, puis dans toute l’Italie, comme la Prusse a pris ses sujets d’abord dans les cantons voisins, puis dans toute l’Allemagne, — qui a formé de ces élémens divers une création artificielle, l’état romain, comme la Prusse a formé l’état prussien, — qui, ainsi fortifiée et toujours croissant, s’est retournée contre l’Italie pour la soumettre, comme