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aux fils des réfugiés français d’une communauté d’origine : les plus bienveillans se hâtent de déclarer qu’ils sont de « vrais et sincères Allemands ; ». il en est qui choquent les Allemands eux-mêmes par l’intempérance de leur germanisme, comme a fait ce cuistre qui, au moment où allait s’ouvrir la guerre de 1870, a du haut d’une chaire de l’université de Berlin demandé pardon à Dieu et aux hommes de porter un nom français. S’il m’est permis d’invoquer encore une fois des souvenirs personnels, je dirai que, si j’ai reçu un très gracieux accueil dans la petite colonie française de Hanau, dont les dames avaient prodigué les plus charitables soins à nos prisonniers malades, c’est avec un Français berlinois que j’ai échangé les seuls mauvais propos que j’aie essuyés et rendus en Allemagne depuis la guerre.

En disparaissant dans la population prussienne, ces étrangers y ont versé leurs génies divers, et ils ont fait qu’elle ne ressemble à aucune autre. Une race nouvelle s’est formée du mélange de ces races. Qu’on veuille bien se souvenir que cette population elle-même, prise dans son ensemble, n’est point indigène[1]. Les provinces sur lesquelles a régné Frédéric, Brandebourg, Poméranie, Prusse orientale et occidentale, Lusace, Silésie, n’étaient habitées, au vie siècle, que par des Slaves. Pendant le moyen âge, des immigrans venant de tous les cantons d’Allemagne et de Hollande, se sont dirigés vers ces pays : moines apportant la parole chrétienne, marchands en quête de débouchés nouveaux, paysans séduits par l’appât d’une propriété libre, chevaliers cherchant aventures et fiefs au détriment du païen, margraves qui veulent s’agrandir, toute cette foule mêlée de prêcheurs, de vendeurs, de laboureurs, de combattans, pénètre dans les petits états slaves, et, se glissant ici parmi les anciens habitans, là se substituant à eux, elle a préparé l’extension de l’Allemagne bien au-delà des frontières que lui donnait Tacite. A la fin du moyen âge, il y avait une sorte de nationalité brandebourgeoise, parlant un dialecte spécial, le dialecte de la Marche, dont Luther vante les qualités dans ses Propos de table ; mais les désordres des XIVe et XVe siècles, les luttes religieuses du XVIe et cette terrible guerre de trente ans ont un instant compromis le travail des siècles : c’est alors que les princes colonisateurs ont fait, pour réparer le mal, les efforts dont on vient de lire l’histoire, que de nouveaux colons, venus, comme les premiers, de tous les cantons de l’Allemagne, et auxquels s’en sont joints d’autres, venus de l’étranger, ont comblé les vides de l’ancienne colonie ; qu’en un mot la Prusse, cette œuvre artificielle, savante et forte, commencée par les Ascaniens, a été achevée par les Hohenzollern.

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1875.