Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/911

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouverez. — Mon regard s’arrêta bientôt sur quelqu’un que je désignai, sans hésiter, à mon interlocuteur. Je ne m’étais point trompé : la personne que j’avais si vite découverte était un membre du parlement d’Allemagne, portant un nom tout français, et descendant d’un réfugié. En le regardant bien, j’aperçus pourtant quelque chose d’étranger sur sa figure : c’était la tête d’un Français, mais d’un Français triste. M. Belleim-Schwarzbach marque fort bien par quelques mots en quoi les fils des réfugiés diffèrent de leurs compatriotes, mais aussi en quoi ils leur ressemblent : « Ils sont, dit-il, presque tous châtains ; leurs yeux, de couleur foncée, sont brillans et curieux ; la stature est moyenne, élancée ; les. doigts des femmes, gracieux, longs, effilés, se distinguent des gros doigts lourds des Allemandes ; mais sur les visages repose le calme, le flegme de la bonhomie allemande, qui transforme ces physionomies françaises. »

Plus le temps marche, plus les différences s’effacent : le mélange des familles de provenances diverses, autrefois rare, devient de plus en plus fréquent ; la rapidité et la commodité croissantes des communications font que tous les petits groupes d’étrangers, autrefois compactes, se dissolvent et s’éparpillent. Il y a longtemps que les privilèges juridiques, civils et autres, accordés aux colons, ont été supprimés, et que les fils des réfugiés sont rentrés dans le droit commun. Les seuls mennonites avaient su faire respecter jusqu’à nos jours l’exemption du service militaire qui leur fut octroyée par le grand-électeur et confirmée par le grand Frédéric. Après que la Prusse fut devenue un état constitutionnel et que la volonté du roi cessa d’être la loi unique, les ministres placèrent encore les privilèges des mennonites au-dessus de la constitution ; mais en 1867 le parlement de l’Allemagne du nord, malgré les protestations qui se firent entendre en faveur des disciples de Menno, vota l’article 57 : « Tout Allemand doit le service militaire, et ne peut se faire remplacer dans l’accomplissement de ce devoir. » Depuis ce temps, ces ennemis de la guerre émigrent en masse. Venus de Bohême en Prusse, ils vont de Prusse en Amérique ; mais qu’importe, dit M. Belleim-Schwarzbach ! « Ils ont donné depuis longtemps tout ce qu’ils pouvaient donner ! L’état les a récompensés assez généreusement, et l’état est un organisme vivant, soumis aux lois de la croissance, qui ne peut se laisser comprimer par des liens qu’on a jetés sur lui il y a plusieurs siècles. »

Ces étrangers venus de tous les points de l’Allemagne et de l’Europe se sont donc fondus dans la population : il n’y a plus que des Prussiens en Prusse. Tous ont aux heures de danger témoigné leur amour à la patrie adoptive : en 1814, les mennonites, ne pouvant combattre, avaient donné leur or. Il ne faut point s’aviser de parler