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jour. L’obstination aveugle du gouvernement tory, les mesures qui proscrivaient l’importation des blés étrangers au moment où les récoltes manquaient, d’autres lois du même genre proposées par l’égoïsme et votées par la routine avaient causé peu à peu une irritation générale. Il y avait eu de sérieuses émeutes dans les rues de Londres. Le jour de l’ouverture du parlement, on avait insulté le régent et assailli sa voiture à coups de pierres. Les promoteurs de certains bills s’étaient vus assiégés dans leurs maisons. La presse, en blâmant ces violences, attaquait le ministère avec d’autant plus de vigueur. D’ardens publicistes, Watson, Hone, d’autres encore, accusés de haute trahison pour avoir exprimé les colères de tous, avaient été acquittés par le jury. Quelques-uns d’entre eux étaient coupables, ayant tenu un langage blasphématoire et séditieux[1] ; ils furent absous par les juges-conseillers de la couronne. C’est au milieu de cette crise que la princesse Charlotte emportait dans la tombe la dernière consolation de la patrie.

Sans parler de tant d’intérêts attachés à l’existence de la princesse et de son enfant, comment ne pas pleurer cette jeune mère si subitement, si cruellement frappée, à l’heure même où sa destinée, déshéritée jusque-là de toutes les joies naturelles, s’éclaire enfin d’un rayon d’or ? Un écrivain autrichien, digne de souvenir à plus d’un titre, se trouvait alors à Londres avec sa famille ; on peut s’en fier au témoignage de Bollmann lorsqu’il écrit à ses amis d’Allemagne : « La mort de la princesse Charlotte a fait répandre bien des larmes, de vraies larmes. Il a fallu plusieurs jours à mes filles pour se remettre de cette secousse et reprendre leur sérénité. Cette impression est universelle. Le noble exemple d’une vie morale, d’une vie pure, couronnée d’un bonheur sans nuage, avait éveillé pour le prince et la princesse une ardente sympathie que partageait la nation entière et à laquelle se liaient des espérances, hélas ! détruites maintenant pour toujours. » Le régent était si détesté, l’avenir de la famille royale était si incertain et si sombre, que Bollmann ajoute ces paroles extraordinaires : « Le prince Léopold a une belle place devant la nation. S’il respecte le lien qui l’associe dans l’opinion au souvenir de la chère morte, s’il demeure en vue de tous l’homme noble et de mœurs irréprochables que l’Angleterre connaît, je crois que la suite des événemens peut donner une grande importance à sa carrière. » Il est clair que Bollmann, tout à fait désintéressé dans ces questions, répète ici les idées qui se faisaient jour dans le monde politique. Bien des esprits, songeant d’avance aux événemens

  1. Ce sont les termes employés par sir George Cornewall Lewis, qui condamne d’ailleurs avec une si juste sévérité le gouvernement tory de 1817.